Page 134 - Les fables de Lafontaine
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130 FABLES. — LIVRE DEUXIÈME
Et l’autre, se faisant prier, 5
Portait, comme on dit, les bouteilles * :
Sa charge était de sel. Nos gaillards * pèlerins *,
Par monts, par vaux et par chemins,
Au gué d’une rivière à la fin arrivèrent,
Et fort empêchés * se trouvèrent. 10
L’ânier qui, tous les jours, traversait ce gué-là,
Sur l’Ane à l’éponge monta,
Chassant devant lui l’autre bête,
Qui, voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita *, 15
Revint sur l’eau, puis échappa ;
Car, au bout de quelques nagées *,
Tout son sel se fondit si bien
Que le baudet ne sentit rien
Sur ses épaules soulagées. 20
Camarade épongier2 prit exemple sur lui,
Comme un mouton qui va dessus * la foi * d’autrui.
Voilà mon Ane à l’eau, jusqu’au col * il se plonge,
Lui, le conducteur et l’éponge.
Tous trois burent d’autant • ; l’ânier et le Grison * 25
Firent à l’éponge raison *.
Celle-ci devint si pesante
Et de tant d’eau s’emplit d’abord *
Que l’Ane, succombant, ne put gagner le bord •.
L’ânier l’embrassait *, dans l’attente 30
D’une prompte et certaine mort.
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Quelqu’un * vint au secours. Qui ce fut, il n’importe 3,
C’est assez qu’on ait vu par là • qu’il ne faut point
Agir chacun de même sorte.
J’en voulais venir à ce point *. 35
Exercice complémentaire. — Imaginez les réflexions de l’Ane
chargé d’éponges, tout au long de ce récit.
3. Epongier: néologisme de La Fontaine. — 4. Rejet d’un détail
inutile, 26, c.