Page 130 - Les fables de Lafontaine
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I2Ô FABLES. — LIVRE DEUXIÈME
8. — L’AIGLE ET L’ESCARBOT
Sources. — Ésope ; Haudent ; Meslier. Aristophane fait plu
sieurs allusions à cette fable (la Paix, v.' 129 et suiv.).
Intérêt. — Cette fable n’est qu’un conte de bonne femme,
à vrai dire fort ancien, puisqu’il remonte aux Grecs. Comme
bien des contes de ce genre, il est dénué de morale et se borne à
expliquer à sa façon un phénomène naturel, dans l’espèce le fait
que les Aigles pondent à la fin de l’hiver. Il ne faut donc pas
s’étonner des énormes invraisemblances : un Escarbot, scarabée gros
comme le petit doigt, ne saurait abriter un lapin dans son trou,
ni mouvoir ou briser les œufs de l’Aigle ; on imagine mal Jupiter
laissant transformer son giron en nid d’aigle, etc. Peu importe !
La Fontaine s’amuse de ces invraisemblances qu’il souligne iro
niquement et développe son conte spirituellement et pour le plaisir.
L’Aigle • donnait la chasse à Maître * Jean * Lapin
Qui, droit à son terrier, s’enfuyait au plus vite.
Le trou de l’Escarbot se rencontre en chemin.
Je laisse à penser si ce gîte
Était sûr! mais où mieux1? Jean Lapin s’y blottit. 5
L’Aigle fondant sur lui, nonobstant! * cet asile *,
L’Escarbot intercède et dit :
— « Princesse des oiseaux, il vous est fort facile
D’enlever malgré moi ce pauvre malheureux.
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie. 10
Et, puisque Jean Lapin vous demande la vie,
Donnez-la lui, de grâce, ou l’ôtez2 à tous deux.
1 C’est mon voisin, c’est mon compère *. »
L’oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l’aile l’Escarbot, 15
L’étourdit, l’oblige à se taire,
Enlève Jean Lapin. L’Escarbot, indigné,
Vole au nid de l’oiseau, fracasse en son absence
Ses œufs, ses tendres œufs 3, sa plus douce espérance ;
Pas un seul ne fut épargné. 20
1. Où trouver mieux? Ellipse, 23, m. — 2. Double impératif, 29, 1.
— 3. Tendres œufs, objet d’un tendre amour ; brachylogie, 23, i.