Page 127 - Les fables de Lafontaine
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LA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES 123
5. — LA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES
Sources. — Ésope ; Gabrias ; Faërne ; Corrozet ; Haudent ;
Meslier.
Intérêt. — Rien n’est plus discutable que la morale prêchée
ici. Mais la comédie de la Chauve-Souris tombant de Charybde
en Scylla est menée avec infiniment d’esprit, et la composition
est parfaite d’équilibre et de mouvement.
Une Chauve-Souris donna tête baissée1
Dans un nid * de belette * ; et, sitôt qu’elle y fut,
L’autre, envers les souris de * longtemps courroucée,
Pour la dévorer accourut.
— « Quoi! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire *, 5
Après que votre race a tâché de me nuire!
N’êtes-vous pas souris ? parlez sans fiction *.
Oui, vous l’êtes, ou bien je ne suis pas belette.
— Pardonnez-snoi, dit la pauvrette,
Ce n’est pas ma profession. 10
Moi, souris! des méchants vous ont dit ces nouvelles *.
2
Grâce à l’Auteur de l’univers1,
Je suis oiseau : voyez mes ailes.
' Vive la gent * qui fend les airs ! »
Sa raison * plut et sembla bonne. 15
Elle fait si bien qu’on lui donne
Liberté de se retirer.
Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer 3 l
Chez une autre belette, aux oiseaux ennemis. 20
La voilà derechef * en danger de la vie.
La dame du logis, avec son long museau,
S’en allait la croquer en qualité d’oiseau,
Quand elle protesta qu’on lui faisait * outrage.
— « Moi, pour telle4 passer! vous n’y regardez pas. 25
Qui * fait l’oiseau ? c’est le plumage.
1. En réalité, il n’y a rien de plus adroit qu’une chauve-souris. —>
2. Dieu. Périphrase noble, 24, d. — 3. Complément de l’infinitif, 29, d.
— 4. Telle : telle que vous dites, c’est-à-dire, pour un oiseau.