Page 126 - Les fables de Lafontaine
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122 FABLES. — LIVRE DEUXIÈME
4. — LES DEUX TAUREAUX ET UNE GRENOUILLE
Source. — Phèdre.
Intérêt. — Fable politique, illustrant un lieu commun exprimé
ainsi par Horace : Quicquid délirant reges, plectuntur Achivi :
Toutes les folies des grands retombent toujours sur le peuple.
D’une matière ténue, La Fontaine a tiré un récit merveilleux de
netteté, d’émotion et de pittoresque. La Grenouille exprime
admirablement la plainte craintive des petites gens.
Deux Taureaux combattaient à qui posséderait
Une Génisse avec l’empire *.
Une Grenouille en soupirait.
— « Qu’avez-vous ? se mit à lui dire
Quelqu’un * du peuple * croassant *. 5
— Hé! ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle *
Sera l’exil de l’un ; que l’autre, le chassant,
Le fera renoncer aux campagnes fleuries ?
Il ne régnera plus sur l’herbe des prairies, 10
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux
Et, nous foulant aux pieds jusques * au fond des eaux,
Tantôt l’une et puis l’autre1, il faudra qu’on * pâtisse
Du combat qu’a causé Madame la Génisse. »
Cette crainte était de bon sens : 15
L’un des taureaux, en leur demeure,
S’alla 2 cacher à leurs dépens ;
Il en écrasait vingt par heure.
Hélas! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands. 20
Exercice complémentaire. — Transposez le récit de La Fontaine
en prenant comme donnée : un paysan qui s’inquiète de la rivalité
de deux seigneurs.
1. Tantôt l’une et puis l’autre, apposition à nous, complément de
foulant. — 2. Complément de l’infinitif, 29, d. —