Page 121 - Les fables de Lafontaine
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LIVRE DEUXIÈME
1. — CONTRE CEUX QUI ONT LE GOUT DIFFICILE
Source. — Phèdre.
Intérêt. — A l’imitation de Phèdre, La Fontaine fait précéder »
de Prologues trois des six livres du premier recueil : les livres II,
V et VI. Le prologue du livre II contient à nouveau, et sur le
même ton de modestie, la théorie de la fable ornée qu’on a pu
lire dans la Préface en prose. A partir du vers 14, l’auteur répond
aux objections des critiques qui dédaignent un genre aussi puéril,
et il s’amuse à esquisser, pour les satisfaire, un début d’épopée,
puis d’idylle, arrêté chaque fois par les délicatesses du critique
supposé. D’où la conclusion qui envoie promener les délicats.
Pour La Fontaine, en effet, ce ne sont pas les délicats sourcilleux
qui sont les juges autorisés des ouvrages littéraires, c’est tout
bonnement le public. Molière, Racine, Boileau lui-même, et La
Bruyère récusent de même les Lycidas, Chapelain, Arsène et
autres mécontents, pour s’en remettre au public souverain.
Quand j’aurais, en naissant, reçu de Calliope *
Les dons qu’à ses amants * cette Muse a promis,
Je les consacrerais aux mensonges * d’Ésope :
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse * 5
Que de * savoir orner toutes ces fictions *.
On peut donner du lustre * à leuis inventions • ;
On le * peut, je l’essaie, un plus savant * le fassex.
Cependant, jusqu’ici, d’un langage nouveau,
J’ai fait parler le Loup et répondre l’Agneau ; 10
J’ai passé plus avant : les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendrait ceci pour un enchantement * ?
1. Subjonctif sans que, 30, a.