Page 120 - Les fables de Lafontaine
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116          FABLES. — LIVRE PREMIER

                   Mais vous naissez le plus souvent       15
            Sur les humides bords * des royaumes du vent4.
            La nature envers vous me semble bien injuste 5.
            — Votre compassion, lui répondit l’arbuste *,
            Part d’un bon naturel, mais quittez ce souci * 6.
                Les vents me sont moins qu’à vous redoutables. 20
            Te plie et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici,
                   Contre leurs coups épouvantables,
                   Résisté sans courber le dos.
            Mais attendons la fin 7. »
                                  Comme il disait ces mots,
            Du bout de l’horizon accourt avec furie        25
                   Le plus terrible des enfants 8
            Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs 9.
                   L’arbfe tient bon. Le-roseau plie.
                   Le vent redouble ses efforts
                   Et fait si bien qu’il déracine          30
            Celui de qui * la tête au ciel était voisine
            Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts10.

             Exercice complémentaire. — Vous supposez que, après le pas­
            sage de la tempête, vous visitez la forêt. Enfin, vous arrivez devant
            le Chêne déraciné. Décrivez le spectacle et dites vos sentiments.




             4. Périphrase noble d’un admirable pittoresque : les marais, les cours
            d’eau, 24, d. ■— 5. Le discours du Chêne est un morceau d’éloquence
            démonstrative, à étudier comme tel. — 6. A l’orgueil du Chêne riposte
            l'ironie du Roseau, 23, z. -— 7. Ici s’achève la première partie de la
            fable, toute psychologique et oratoire, comme une scène de comédie
            ou de tragédie classique. La suite fait avec cette première partie une
            antithèse dramatique. ■—- 8. Les vers 25-26 présentent un exemple
            admirable d’inversion pittoresque, 23, y. — 9. Périphrase épique d’une
            grande force expressive : un vent puissant, une rafale. Le Nord est
            considéré comme le séjour où les vents de tempête sont enclos,
            comme ils le sont dans la montagne d’Eole chez Homère et Virgile. —
            10. Ces deux derniers vers, inspirés de Virgile, sont une pure mer­
            veille d’évocation poétique. : on voit la chute gigantesque du chêne, sa
            tête tombée du ciel,, ses racines qui ouvrent un abîme jusqu’au cœur
            mystérieux de la terre ; on pense à ce singulier mélange, dans un seul
            être, de la vie la plus superbe et de la mort la plus irrémédiable, etc.
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