Page 122 - Les fables de Lafontaine
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n8         FABLES. — LIVRE DEUXIÈME

                     —  « Vraiment, me diront nos critiques,
                     Vous parlez magnifiquement             15
                     De cinq ou six contes d’enfant. »
              Censeurs *, en voulez-vous qui soient plus authentiques *
              Et d’un style * plus haut? En voici : Les Troyens,
              Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,
              Avaient lassé les Grecs qui, par mille .moyens,   20
                     Par mille assauts, par cent batailles,
              N’avaient pu mettre à bout cette fière cité,
              Quand un cheval de bois, par Minerve * inventé,
                     D’un rare et nouvel artifice *,
              Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse *,   26
             Le vaillant Diomède, Ajax l’impétueux,
                   • Que ce colosse monstrueux,
             Avec leurs escadrons *, devait porter dans Troie,
             Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie,
             Stratagème inouï qui, des fabricateurs *,      30
                     Paya • la constance et la peine...
             — « C’est assez, me dira quelqu’un de nos auteurs,
             La période est longue, il faut reprendre haleine.
                     Et puis, votre cheval de bois,
                     Vos héros • avec leurs phalanges *,    35
                     Ce sont des contes plus étranges *
             Qu’un renard qui cajole * un corbeau sur sa voix.
             De plus, il vous sied mal d’écrire en si haut style *. »
             Eh bien! baissons d’un ton : La jalouse Amarylle2
             Songeait à son Alcippe et croyait, de ses soins *,   40
             N’avoir que ses moutons et son chien pour témoins.
             Tircis, qui l’aperçut, se glisse entre les saules ;
             Il entend la bergère adressant ces paroles
                     Au doux Zéphyr *, et le priant
                     De les porter à son amant *...         45
                    —  « Je vous arrête à cette rime,
                    Dira mon censeur * à l’instant ;
                    Je ne la tiens pas légitime 3,

              2.  Amarylle, Alcippe et Tircis sont des noms empruntés aux idylles
             de Théocrite et de Virgile. — 3. Légitime, conforme aux règles, régu­
             lière.
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