Page 132 - Les fables de Lafontaine
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128 FABLES. — LIVRE DEUXIÈME
9. — LE LION ET LE MOUCHERON
Sources. — Ésope ; Haudent ; Pantaléon Candidus ; Meslier.
Intérêt. — Fable épique, qui relève du genre bien caractérisé
des récits de duels, d’autant plus intéressants que les adversaires
opposés sont plus inattendus : géant contre petit homme (David
et Goliath...), princes ennemis (Paris contre Ménélas...), un héros
contre une armée (Roland et les Sarrazins...), etc. Ici, la dispro
portion est poussée à l’extrême.
— « Va-t-en, chétif * insecte, excrément de la terre ! »1
C’est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron *.
L’autre lui déclara la guerre.
— « Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi 5
> Me fasse peur ni me soucie * ?
Un bœuf est plus puissant * que toi :
Je le mène à ma fantaisie. »
A peine il achevait ces mots
Que lui-même il sonna la charge, io
Fut le trompette * et le héros *.
Dans l’abord *, il se met au large *,
Puis prend * son temps, fond sur le cou
Du Lion, qu’il rend presque fou.
Le quadrupède écume et son œil étincelle, 15
Il rugit. On se cache, on tremble à l’environ * a.
Et cette alarme * universelle
Est l’ouvrage * d’un Moucheron.
Un avorton de mouche 3 en cent lieux le harcelle,
Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau, 20
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L’invisible ennemi triomphe et rit de voir
1. Entrée en matière exclamative, 26, b. Cf. Malherbe, Ode contre
Concini : Va-t-en à la malheure, excrément de la terre. — 2. Harmonie,
23, s. — 3. Avorton : être contrefait ; ici, être minuscule ; de mouche
est apposition de avorton. Au xvn8 siècle, le mot mouche s’emploie au
sens large pour désigner moustiques, abeilles, guêpes et mouches pro
prement dites.