Page 90 - Vincent_Delavouet
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               graphistes qui, lui aussi, ne se réveilla pas. Je me souviens
               encore que, chargé la veille de notre approvisionnement en
               combustible, il riait et chantait et était loin de se douter
               de sa fin aussi prochaine. Vers 3 heures du matin, un léger
               cri. Il était mort ! Cela eût dû me donner à réfléchir et me
               faire regretter amèrement de m’être lancé ainsi à l’aventure.
               Cependant, il n’en fut pas ainsi. Jamais le moral ne fut plus
               solide, et je ferai remarquer au lecteur que je revenais de
               Dawson City avec une « ceinture » bien garnie !
                 Je ne parlerai que comme mémoire de ces rafales de neige
               qui nous obligeaient de nous abriter des journées entières ;
               au mois de janvier, il ne faisait guère plus jour le jour que
               la nuit ; torches de résine ou chandelles devaient nous
               suffire pour éclairer notre route.
                 Il est évident que les souffrances endurées n’étaient pas à
               comparer avec celles de la précédente expédition de 1896, où
               nous n’avions rien que nos bras, pour nous tirer d’affaire, et
               nous allions alors à l’aventure ; tandis que cette fois-ci nous
               descendions vers des régions moins inhospitalières, avec un
               moyen de transport rudimentaire, certes, mais enfin moins
               pénible que la marche à pied.
                 C’est ainsi qu’au bout d’un mois de voyage sur la neige,
               nous aperçûmes le fort John, un peu plus important que le
               précédent, mais toujours habité par des Esquimaux et par
               une autre Mission catholique, dont une partie se trouvait
               dispersée dans le territoire environnant.
                 Ce fort était également ravitaillé par la Compagnie d’Hud­
               son Bay et c’est au fort même que nous pûmes camper, sous
               notre tente, bien entendu.
                 Trois ou quatre cents Esquimaux vivaient également
               comme des troglodytes ; leur type est assez uniforme. Petits,
               trapus, presque imberbes, d’une couleur jaunâtre, la peau
               un pou huileuse et la figure aplatie, cheveux jaunâtres.
                 Le Père Larivière, chef des missionnaires, me donna aussi
               quelques aperçus sur les mœurs et le caractère de ses « parois­
               siens ».
                 Assez dociles, craintifs même,, ils se laissaient assez facile­
               ment convertir à la religion catholique, mais leur compréhen-
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