Page 87 - Vincent_Delavouet
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            données pouvait encore se faire sept ou huit dollars par jour
            et arrivait à vivoter.
              C’est en leur échangeant de ma bijouterie contre des
            pépites qu’un beau jour je me rencontrai avec cet ami
            Joseph Benett, l’un des trois compagnons que j’avais quittés
            en 1896 en leur vendant ma part de concession.
              Ce brave ami n’avait pas réussi. Actuellement, il se trou­
            vait à la tête d’un « claim » qui ne lui rapportait presque rien,
            il avait successivement épuisé ses capitaux et, quoique ayant
            confiance dans l’issue de cette entreprise, il se trouvait
            arrêté par un manque de fonds.
              D’ailleurs, en cet espace de neuf années, il avait connu des
            alternatives de haut et de bas et, quoique n’étant ni buveur
            ni joueur, son ambition avait été de découvrir la grosse
            veine, au lieu de se contenter du petit filon. Bref, je lui
            prêtai trois mille dollars, avec la garantie du quart de son
            claim, comme hypothèque, mais craignant bien que mon
            argent et le claim lui-même ne soient perdus.
              L’été était passé et il fallait penser au retour, avant que
            les rivières et lacs gelés empêchassent tout trafic.
              Mais je voulais terminer et liquider mon stock de bijou­
            terie et, d’autre part, j’avais une occasion unique de voir
            du pays et de voyager d’une façon inédite. Il se trouvait
            alors à Dawson City six ingénieurs qui venaient de tracer
            une ligne télégraphique et téléphonique, partant d’Edmou-
            ton, province d’Alberta (Canada), pour aboutir à Dawson
            City. Ces télégraphistes étaient venus avec des traîneaux et
            pensaient s’en retourner par les mêmes moyens, lorsque la
            neige aurait atteint une certaine épaisseur, ainsi que la
            glace.
              Trois autres voyageurs se joignirent à moi et nous con­
            vînmes d’un prix pour nous faire rapatrier par ce moyen
            primitif.
              Nous voici donc, vers la fin de septembre, une dizaine
            d’hommes répartis sur deux traîneaux chargés de vivres
            et de vêtements chauds, le tout traîné par des chiens (envi­
            ron six ou sept par traîneau).
              Ces traîneaux ont la forme d’un bateau effilé, très plat en
             dessous, afin de mieux se tenir sur la neige, même lorsqu’elle
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