Page 36 - Vincent_Delavouet
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moi. Il me proposa de m’associer à ses travaux, de surveiller
               son personnel ; enfin, si je l’avais écouté, j’étais tranquille
               ehez lui, jusqu’à la fin de mes jours.
                 Cependant je refusai ! et voici pourquoi : J’avais encore
               présente en ma mémoire la servitude de mon enfance ; je
               venais de goûter à la jouissance insoupçonnée de l’indépen­
               dance. Aucune situation, si brillante fût-elle, ne pouvait
               pour moi, à cette époque, où je n’avais pas encore trente ans,
               remplacer cette belle liberté que je venais seulement de
               conquérir depuis peu et dont j’étais jaloux.
                 Aussi, nous nous quittâmes les meilleurs amis du monde,
               et je me souvins toujours qu’en nous séparant, cet excellent
               homme avait les larmes aux yeux.
                 J’oubliais d’indiquer au lecteur un fait qui a son impor­
               tance : M. Laurent Guichon ne savait ni lire ni écrire et ne
               signait son nom qu’avec une croix !!!






                                   Chapitre XI

                                Première expédition


                 Je n’avais rien dit à M. Guichon de mes projets futurs.
               Mais les aventures des chercheurs d’or, dont il m’avait
               parlé, avaient non seulement excité ma curiosité, mais
               m’avaient donné une furieuse envie d’en essayer pour mon
               compte. Dans ce but, et sans rien brusquer, je continuai,
               pendant l’hiver 1893-1894, à vendre mes marchandises dans
               les environs de Vancouver, mais sans m’approvisionner à
               nouveau. Je suivis les mines encore en exploitation, les
               chantiers de bois le long de la côte, qui emploient de nom­
               breux ouvriers, et, en mars 1894, j’étais arrivé à me débar­
               rasser entièrement de mon stock de marchandises,. et me
               trouvais possesseur d’environ 3.000 francs. C’est avec cette
               somme en poche que je mis mon projet à exécution. J’achetai
               un cheval tout harnaché et, malgré la neige qui couvrait
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