Page 675 - Les merveilles de l'industrie T1
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INDUSTRIE DU SEL 671
contraventions étaient punies d’amendes furent décimés et on les pendit aux arbres
considérables. Quand les délinquants étaient du chemin.
hors d’état de les payer, tous les habitants de Sous Louis XIV, les gabelles furent réor
la paroisse étaient rendus solidaires de la ganisées, mais on ne changea rien aux abus
dette. Pour arrêter la contrebande, on avait établis : on ne fit que les réglementer. Col
recours, dit Montesquieu, « à des peines bert, qui présida à la réorganisation de cette
extravagantes, et pareilles à celles que l’on partie de l’administration fiscale, s’appliqua
inflige pour les plus grands crimes (1).» Les à resserrer des liens déjà excessifs. Le faux-
cahiers des états de 1484 constatent que, saunage fut mis au rang des crimes; des
dans l’espace de quelques années, plus de tribunaux d’exception furent érigés, des
cinq cents faux-sauniers furent exécutés dans offices de juge aux gabelles, des régisseurs
les provinces du Maine, de l’Anjou et du et employés de tout grade, furent créés. Tous
pays Chartrain (2). les produits des salines et des mines étaient
L’exaspération du peuple des villes et des livrés aux fermiers généraux, qui, pour re
campagnes contre la gabelle, amena des vendre le sel aux particuliers, avaient toute
émeutes, qui dégénérèrent quelquefois en une armée de commis et de gardes. Malgré
révoltes déclarées. Au xve siècle, Reims, Di les frais nécessités par cet immense per
jon, Rouen, furent le théâtre de troubles très- sonnel, ils faisaient des bénéfices énormes.
graves. Les juridictions des greniers à sel, les cours
La plus terrible de ces insurrections eut prévôtales et les cours supérieures soute
lieu en 1548, en Guienne. Aux environs de naient toujours les fermiers généraux dans
Cognac et de Châteauneuf, quarante mille leurs procès, dans leurs sommations et dans
paysans se rassemblèrent et mirent en dé leurs exécutions financières.
route les troupes du roi. Ils s’emparèrent de Les employés des fermiers généraux
la ville de Saintes, et la livrèrent au pillage. fixaient tous les ans la quantité de sel que
Ils ravagèrent les environs d’Angoulême, chaque famille devait acheter dans les gre
de Poitiers et de Rlaye. La populace de Bor niers royaux, sans tenir aucun compte de
deaux, surexcitée par leur approche, tua ses besoins et de ses ressources. L’emploi de
les gabcleurs, pilla les maisons des riches, cette quantité de sel était fixée par eux, livre
et se tint pendant un mois en état complet par livre : tant pour la salière, tant pour le
de rébellion. Le chef de l’administration pot-au-feu et pour les viandes de conserve,
des gabelles, Tristan de Moneins, fut assom tant pour les hommes, les femmes et les en
mé dans les rues de Bordeaux. On dépeça fants.Les commis pénétraient sans cesse dans
son corps, et on le sala!... les maisons, pour compter le personnel,cons
Le gouvernement fut obligé de mettre en tater que les règlements n’étaient pas en
campagne un corps de six mille hommes, freints, et que les consommateurs n’em
sous les ordres du duc d’Aumale et du ployaient point, par exemple, à saler le
connétable de Montmorency, pour étouffer lard, ce qui leur avait été assigné pour saler
cette révolte. Elle fut, on peut le dire, noyée la soupe. Le formalisme était poussé si
dans le sang. Ses instigateurs et ses chefs loin, qu’en vertu d’une ordonnance du
périrent dans d’affreux supplices, à Saintes, mois de janvier 1629, les pêcheurs étrangers
à Angoulême, à Bordeaux. Les paysans qui apportaient en France de la morue et
du saumon, étaient tenus, en passant la
(1) Montesquieu. Esprit des lois, liv. XIII, ch. vm. frontière ou en abordant sur nos côtes, de
(2) Revue îles deux Mondes, l'r janv. 1873, page 195, ar
ticle de M. Ch. Louandre, sur l’impôt du sel. jeter le sel de leurs barils, comme immonde,