Page 679 - Les merveilles de l'industrie T1
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INDUSTRIE DU SEL.                                673


            des vengeances du peuple fut-il de brûler les   firent porter, par décret du 19 novembre
            greniers à sel et les bureaux des gabelles.  1813, l’impôt à 40 centimes le kilogramme;
              Nous ne sommes pas tellement loin de    mais la loi du 17 décembre 1814 le réduisit
            cette époque que l’on ait oublié le con­  à 30 centimes.
            cert de malédictions dont la gabelle était   La Restauration, qui avait à payer un mil­
            l’objet sous l’ancienne monarchie. 11 reste   liard aux puissances coalisées pour le ren­
            encore en France un vieux ressentiment  versement de l’Empire, n’eut garde de tou­
            contre cet impôt détesté, qui, sous l’an­  cher à l’impôt du sel. Enl 829, à la veille de la
            cien régime, fit dresser les échafauds et   révolution de Juillet, le ministre des finan­
            ouvrir les bagnes pour tant de malheu­    ces, de Chabrol, dans son Rapport au roi
            reuses victimes. Aujourd’hui l’impôt du sel   sur l’administration des finances, faisait va­
            est léger au point d’être insensible, et pour­  loir les avantages de cet impôt. Il constatait
            tant il y a encore dans nos campagnes un   que, malgré les droits, la consommation ne
            fond de haine sourde contre les inoffensifs   s'était jamais ralentie; qu’elle était en 1829
            ambulants, dont les allures ne ressemblent   de 7 kilogrammes 400 grammes par indivi­
            guère pourtant à celles de leurs farouches   du, ce qui donnait, pour l’impôt payé
            prédécesseurs du dernier siècle.          par chaque personne, la minime somme de
              La gabelle fut supprimée par un décret   2 francs par tête.
            de l’Assemblée nationale du 23 septembre
            1789; on la remplaça par un impôt de 40 mil­  « La place importante que cette contribution oc­
                                                      cupe dans le budget de L’État, disait de Chabrol, ne
            lions sur la propriété.
                                                      permet pas d’en modifier le tarif sans s’exposer à
              A partir de ce moment, le commerce du   déranger l’équilibre de notre situation financière, et
            sel fut entièrement libre. A l’époque du Di­  ce sera toujours une mesure difficile et embarras­
                                                      sante que de proposer une réduction qui pourrait
            rectoire, le sel se vendait 2 sous 6 deniers la
                                                      considérablement affaiblir cette ressource indispen­
            livre (23 centimes le kilogramme).        sable, et forcer ensuite le gouvernement à rede­
                                                      mander de plus onéreux sacrifices à ceux-là mêmes
              Les embarras financiers du Directoire lui   qui auraient obtenu un dégrèvement dont les ré­
                                                      sultats auraient trompé sa prévoyance. »
            suggérèrent un moment l’idée de soumettre
            de nouveau le sel à l’impôt ; mais le Conseil   La Restauration dut aux revenus de l’im­
            des Anciens, dans sa séance du 23 janvier   pôt du sel la facilité de constituer un fonds
            1799, déclara l’impôt du sel inconstitution­  d’amortissement annuel de 79 millions, et
            nel, nuisible, injuste. La haine contre tout   de rembourser 34 millions de rentes. Les
            ce qui, de près ou de loin, pouvait ressem­  contribuables ne se plaignaient pas, car
            bler à la gabelle, était encore tellement   l’impôt était, en définitive, fort léger, et ré­
            vivace, qu’on ne voulut pas même discuter   parti sur une faible consommation de chaque
            l’idée d’une régie, que Barbé-Marbois mit en   jour, il passait inaperçu (1).
            avant.                                      La révolution de Juillet vint susciter de
              Napoléon Ier, en fait de finances, aimait   nombreux adversaires à l’impôt du sel.
            les règles établies. L’impôt du sel lui pa­  L’opposition constitutionnelle est dans les
            raissant juste et productif, il fit ce que le   mœurs françaises. Il fallait un prétexte
            Directoire n’avait pas osé faire. Un décret   pour battre en brèche la royauté de 1830,
            du 27 mars 1806, contre-signé par le minis­  et l’impôt du sel répondait parfaitement à ce
            tre Crétet, rétablit l’impôt du sel, qui fut fixé   besoin. Aussi les ennemis du gouvernement
            à 20 centimes par kilogramme.
              Les revers dont la France fut accablée,   (f) Revue des deux k'ondes, article cité, page 197.
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