Page 674 - Les merveilles de l'industrie T1
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                 marchands en gros, à un prix que le mar­  ticuliers de revendre ce qui excédait leur
                 chand pouvait d’abord fixer de gré à gré,   consommation.
                  mais qui,plus tard, fut soumis à un tarif mo­  Comme la fraude pour le sel était facile
                 bile, pour lequel le muid de Paris servait   et très-commune, on eut recours aux mesures
                 d'étalon. Les marchands en gros le reven­  les plus vexatoires et les plus odieuses pour
                 daient, tantôt directement aux consomma­  1 empêcher. Les faux-sauniers étaient pu­
                 teurs, tantôt, et le plus souvent, à des dé­  nis avec une extrême rigueur. Pour faci­
                 taillants appelés regratliers.            liter la répression, on accordait au délateur
                                                           le tiers du corps du délit. Enfin le grene-
                   Nous avons pensé que l’on trouverait ici   ticr, juge dans sa propre cause, prononçait
                 avec intérêt le dessin de l’un des anciens   en première instance sur tous les différends
                 greniers à sel de Paris. 11 existe encore au­  relatifs aux gabelles.
                 jourd’hui, au n° 42 de la rue Saint-Germain   Les fermiers de l’impôt du sel ne se con­
                 l’Auxcrrois, près du théâtre du Châtelet,   tentaient pas de fixer arbitrairement le prix
                 une partie, admirablement conservée, d’un   du sel, de le doubler selon leur convenance
                 ancien grenier à sel. Le fronton de l’édifice   et selon les provinces ; ils forçaient les con­
                 subsiste entièrement, et est seulement mas­  tribuables à prendre chaque année un poids
                 qué par des constructions. Les portions in­  déterminé de sel. La consommation forcée
                 férieures du bâtiment ont disparu; mais il   s’ajoutait au monopole !
                 n’a pas été difficile au dessinateur de réta­  Pour assurer l’exécution de ces règles, les
                 blir approximativement leur aspect.       fermiers de gabelles enrégimentaient une
                                                           armée d’employés, qui organisaient un es­
                   La ligure 388 représente cet intéressant   pionnage intolérable. Les gabelous, les am­
                 monument, figure qui est dessinée et gravée   bulants^ comme on les appelait, et comme
                 pour la première fois (1). Mais revenons à   on les appelle encore, exerçaient leur inqui­
                 notre sujet.                              sition avec une rigueur qui n’avait d’égale
                   Chaque habitant était tenu de renouveler   que la haine qu’ils excitaient parmi les gens
                 tous les trois mois sa provision de sel. En   du peuple. Les droits sur le sel variaient con­
                 outre, il était formellement interdit aux par-  sidérablement d’une province à l’autre ; de
                                                           là une contrebande qui s’exerçait sur une
                  (1) On lit ce qui suit à propos de ce grenier A sel dans
                 les R cherches cri ù/ues sur Pari- du sieur Joilht, ouvrage   grande échelle, et qui se faisait au grand
                 publié en 1782 : « Il y avait près le Châtelet une maison   jour, souvent à main armée. Le peuple se
                 appelée anciennement la m»ùo i de la marchandise de sel,
                 dont la rue de la Saulnerie a pris son nom. 11 fut ensuite   joignait aux faux-saul"iers, pour se venger
                 placé dans la rue Saint-Germain, entre la place des Trois-   du fisc.Bien équipés et bien montés, les faux-
                 Maries et la rue de l’Arche-Jlarion : il paraît qu’il était
                 situé des deux côtés de la rue, mais les bâtiments n’étant   sauniers se réunissaient par bandes de trois
                 pas assez commodes, on lit en IG 8 acquisition d’une   cents à quatre cents hommes, et forçaient
                 grande maison qui dès le xnr siècle appartenait à l’abbaye   les lignes de ces douanes intérieures.
                 de Joy-en-Val, par la donation que lui en avait faite Bar­
                 thélémy de Roye, chambrier de France, fondateur de cette   Quelquefois les soldats du roi prenaient part
                 abbaye La maison abbatiale ayant été réunie en IG!)' à l’é­  eux-mêmes à ces expéditions de grand
                 vêché de Chartres en compensation des démembrements
                 qu’on en avait faits pour former l’évêché de Blois, on   chemin.
                 prefita de cette occasion pour transférer le grenier à sel   Le gouvernement, comprenant la cause
                 dans cette maison : c’est pourquoi sur la façade des bâti­
                 ments qui furent refaits, à côté des armes du roi on sculpta   de ces désordres, aurait pu y remédier, en
                 celles de M. P. Godet des Marais, alors évêque de Chartres,   forçant les fermiers généraux à supprimer
                 et celles de l’abbaye de Joy-en-Val. On distingue encore
                 les trois corps de batiment sous les noms de Grenier-du-   les abus; mais il ne songeait qu’à réprimer
                 Soleil, Grenier-l’Évêque, Grenier-l’Abbaye. »   la contrebande par la force. Les moindres
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