Page 678 - Les merveilles de l'industrie T1
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674                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

                 sel le temps de s’épurer et de subir le dé­  tombait sur le peuple et la bourgeoisie.
                 chet de fabrication, défendaient d'entamer   Le mécontentement populaire excita, sous
                 les masses de sel avant deux ou trois ans au   Louis XIV, comme cela s’était vu sous les
                 moins, et classaient au nombre des agents   rois ses prédécesseurs, la contrebande et la
                 de la ferme les voituriers par eau et par terre   révolte, qui furent toujours violemment ré­
                 chargés du transport du sel.              primées. En 1675, c’est-à-dire au moment
                   Les greniers et dépôts étaient répartis de   où Louis XIV était à l’apogée de sa puis­
                 la manière suivante, entre les 17 directions :  sance, quatorze paroisses du pays d'Armo­
                                                           rique publièrent, sous le nom de Code paysan,
                                       Greniers.  Dépôts.  les statuts d’une association qui avait pour
                       Paris...............  27  »
                       Soissons...........  12   »         objet de faire abroger l’impôt du sel, du
                      Abbeville........  12      ))        papier timbré, et de la marque des ouvrages
                       Saint-Quentin..    G      »         d’étain. « 11 est défendu, disait le Code
                       Châlons...........  9     »
                      Troyes........     11      »         paysan, à peine d’être passé par la fourche,
                      Tours...............  16    7        de donner retraite à la gabelle ou à ses en­
                      Anjou...............  H     4        fants, de leur fournir ni à manger ni aucune
                       Laval...............  9    J)
                       Le Mans...........  13     »        commodité; mais au contraire il est enjoint
                       Berry...............  11   6        de tirer sur elle comme sur un chien en­
                       Moulins............  12    »        ragé. » Cet ordre fut ponctuellement suivi
                       Rouen.............  22     ))
                       Caen................  2    )>       depuis Douarnenez jusqu’à Concarneau, et
                       Alençon...........  14     »        cette fois encore il ne fallut pas moins de
                       Dijon...............  36   ))       six mille hommes des meilleures troupes du
                                        223      17        roi pour rétablir l’ordre (1).

                   La différence du prix, suivant le régime   Le peuple et la bourgeoisie avaient amassé
                 auquel chaque province se trouvait sou­   pendant quatre siècles un ressentiment pro­
                 mise d’après son contrat de réunion à la cou­  fond contre les gabelles. Tous les cahiers
                 ronne, exigeait une surveillance tellement   des provinces, toutes les doléances adressées
                 étendue, une répression tellement rigou­  aux états généraux, reproduisaient les plain­
                 reuse, que l’exercice de la gabelle en France   tes et les malédictions publiques contre la
                 employait un personnel de vingt-cinq mille   redevance du sel. Ces doléances étaient tel­
                 hommes.                                   lement énergiques, que beaucoup de bons
                   L’impôt du sel rapporta au fisc 30 mil­  esprits ont considéré l’abus de la gabelle
                 lions par an, sous Louis XIV, et 58 millions   comme un des griefs les plus terribles con­
                 sous Louis XVI. Mais par suite des franchises   tre l’ancien régime, comme un de ceux qui
                 locales dont nous avons donné plus haut   contribuèrent le plus à soulever les classes
                 l’explication, cette somme n’était prélevée   inférieures contre l’autorité du roi.
                 que sur les deux tiers environ de la popula­  Les états généraux de 1789 déclarèrent
                 tion de la France. La noblesse et le clergé,   que l’impôt du sel, objet de l’animadver­
                 aux termes des édits de Colbert, auraient   sion générale, devait disparaître. En effet,
                 dû participer à cet impôt, mais cette règle   la loi du 10 mai 1790 détruisit le monopole
                 était très-souvent transgressée. Une foule   qui, depuis Philippe de Valois, avait excité
                 de nobles et la plupart des membres du    tant de colères. Aussi le premier mouvement
                 clergé trouvaient le moyen de s’en faire
                                                             (t) Revue des deux Mondes, 1er janvier 1873, page 194,
                 exempter; de sorte que tout le fardeau re­  article de M. Ch. Louandre, sur Yimpôt du sel.
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