Page 665 - Les merveilles de l'industrie T1
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INDUSTRIE DU SEL.                                661

         grande rigole qui, par les cours, traverse les bâti­  avait décrété la peine de mort contre celui
         ments et va se perdre dans l’Ohio. Dans l’avant-der­  qui, sans raison légitime, enfreindrait, pen­
         nière étape, où le cochon est transporté par un
         arbre de couche, un effroyable compartiment de   dant le carême, la loi du régime maigre. 11
         machine le taille en tous sens et symétriquement,   fallait donc, à cette époque, s’occuper très-
         Plus loin enfin, on sale les membres épars, qu’on
                                                   sérieusement de garnir les marchés euro­
         accroche aux fumoirs, pendant que les autres par­
         ties de l’animal sont mises dans la saumure et ren­  péens de poissons de conserve.
         fermées dans des barils.                    Il y a deux ou trois siècles, on conservait
           « Tout cela se fait avec une si étonnante prompti­  un grand nombre de poissons auxquels nous
         tude, qu’on a de la peine à suivre les cochons dans   ne songeons plus sous ce rapport : tels étaient
         ce rude et multiple travail de tant d’opérations di­
         verses. Les cochons succèdent aux cochons, comme   les congres ou chiens de mer. De nos jours,
         les chevaux de bois succèdent aux chevaux de bois   les poissons que l’on sale pour les conserver
         dans le jeu circulaire qui porte ce nom. Joignez à   sont seulement la morue, le hareng, la sar­
         cela les cris rauques et sinistres des cochons égor-
         gés, suspendus en guirlandes sonores partout autour   dine, l’anchois, le thon, le maquereau, l’es­
         de vous. Cette lugubre et horrible musique n’a pas   turgeon et le saumon.
         de fin ; car, au fur et à mesure que les cris d’un co­  Ce serait sortir des limites de cette Notice
         chon disparaissent étouffés dans le puits de vapeur,
         la mécanique sans cesse en mouvement égorge un   que de parler des pêcheries de morue, de
         autre cochon, qui apporte son contingent de lamen­  hareng, de sardine, etc. Ce qui nous touche
         tations.                                  seulement ici c’est le procédé de salaison.
           « Ce curieux établissement est souvent visité par
         les étrangers qui passent à Cincinnati. Ils sont par­  Or, ce procédé est toujours le même, et
                                                   c’est celui que nous avons décrit en parlant
         faitement reçus par les propriétaires actuels, qui
         sont de véritables gentlemen. Un touriste français cite   de la salaison des viandes.
         ce fait, qu’étant allé voir cette usine un jour de   Quel que soit le poisson que l’on ait à
         grande fête où le travail se trouvait suspendu, un
         des associés de la maison fit galamment tuer pour   conserver : morue, hareng, sardine, etc., il
         lui seul une trentaine de cochons. »      faut toujours fendre l’animal en deux, pour
                                                   offrir une surface double à l’action du sel.
           On ne saurait être plus aimable. Ces    Quand le corps du poisson a été frotté sur
         trente cochons que le propriétaire de l’u­  ses deux faces avec du sel en cristaux, on
         sine de Brooklyn immole pour faire hon­    l’enferme dans un baril, en interposant
         neur à un étranger, rappellent Thomas      entre chaque couche de poissons une couche
         Diaforus invitant Lucile à une dissection.  de sel. On recouvre l’ensemble d’une cer­
            L’Amérique n’est pas, d’ailleurs, le seul   taine épaisseur de sel, on comprime le tout,
          pays qui expédie en Europe des viandes sa­  et l’on ferme le baril.
          lées. Depuis quelque temps l’Angleterre et   La salaison des viandes et du poisson con­
          nos ports de l’Ouest reçoivent des viandes   somme des quantités considérables de sel,
         venant de l’Australie. Ces produits alimen­  mais cette quantité est moindre que celle
          taires sont trop souvent d’un goût détes­  que nécessitent la consommation de la table
          table, mais ils fournissent sur nos marchés   et les usages de l’industrie. On évalue en
          un certain appoint qui n’est pas à dédai­  Angleterre à 40,000 tonnes par an, la quan­
          gner quand on considère la cherté excessive   tité de chlorure de sodium absorbée par les
          des viandes.                              salaisons ; en France, elle est de 67,000
                                                   । tonnes.
                                                   i
            La salaison du poisson était une industrie
          beaucoup plus importante autrefois que de
          nos jours. L’observance du carême était
          alors générale, et l’on sait que Charlemagne
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