Page 663 - Les merveilles de l'industrie T1
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INDUSTRIE DU SEL.                                 G59

           dans ces mêmes pays, beaucoup de langues   suffisant, car il faut des quantités énormes
           de bœuf.                                  de viande pour produire d’insignifiantes
             Au sel marin, comme corps antiseptique,   quantités d’extrait.
           on ajoute souvent un autre agent de con­    Le chimiste allemand, Justus Liebis
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           servation : on expose les viandes à la fumée   mort le 20 avril 1873, n’avait pas craint d’a­
           des bois plus ou moins résineux. Comme la   briter de son nom, cette industrie, toute
           fumée renferme de grandes quantités de    mercantile. Grâce à ce patronage du chi­
           créosote, ou pour mieux dire, d’acide phé-   miste allemand, Vextrait de viande de Liebig
           nique, la propriété antiseptique de l’acide   a joui pendant dix ans, d’une grande faveur,
           phénique s’ajoutant à celle du chlorure de   et s’est vendu en quantités prodigieuses. On
           sodium, constitue un ensemble essentielle­  a fini cependant par reconnaître que Vextrait
           ment conservateur.                        de viande n’est qu’une assez ridicule den­
             L’art de fumer les viandes salées est fort   rée. D’abord, son action nutritive est à peu
           simple. Il consiste uniquement à exposer,   près nulle. Elle ne peut être, en effet, autre
           pendant près d’un mois, les viandes dépe­  chose que celle du bouillon de viande lui-
           cées et salées, dans une chambre, où l’on   même. Or, le bouillon est un tonique agréa­
           fait arriver la fumée produite par un feu de   ble, mais n’a presque aucune action nutri­
           copeaux de hêtre ou de bouleau. La viande   tive. Une bouchée de pain remplace avec
           de bœuf fumée et les langues de bœuf fu­  avantage 30 grammes ^'extrait Liebig, qui
           mées à Hambourg, en Allemagne, sont au­   coûtent cent fois plus cher. D’aucuns ont
           jourd’hui particulièrement recherchées.   même prétendu, et démontré par des expé­
             Dans beaucoup de contrées de l’Améri­   riences faites sur des animaux, que cette
           que centrale, et surtout dans les vastes plai­  prétendue matière nutritive peut agir comme
           nes de la Plata, de la Bolivie, de Buénos-   poison, en raison de la grande quantité de
           Ayres, ainsi que dans plusieurs Etats de   sels alcalins qu’elle renferme.
           l’ouest des Etats-Unis, il existe d’immenses   Mais le plus grand reproche que l’on soit
           troupeaux de bœufs et d’autres animaux    en droit d’adresser à l’invention du chimiste
           vivant en liberté. Depuis longtemps les ha­  allemand, c’est qu’elle prête trop facilement
           bitants de ces contrées chassent les animaux   à la fraude. Donnez-moi un peu de gélatine,
           sauvages, les tuent et les dépouillent de   un peu d’albumine du sang, un peu de sel
           leur peau. Ils jettent la viande, comme étant   et un peu de roux de cuisine, je vous com­
           d’une conservation trop difficile, et ne re­  poserai un extrait Liebig très-présentable,
           tiennent que la peau, qui est salée, roulée,   qui vaudra celui que débitent les épiciers
           et expédiée en Europe, pour en fabriquer   dans leurs petites boîtes, et où la ménagère
           des cuirs.                                ne verra.... que du bouillon.
             On s’est longtemps contenté de cet ex­    C’est donc avec raison que X extrait Liebig
           pédient barbare, qui consistait à tuer des   est aujourd’hui à peu près abandonné. Les
           animaux, pour jetei' leur viande et n’uti­  habitants des plaines du Texas, de la Plata
           liser que leur peau. Ensuite est venue l’i­  et de Buénos-Ayres ont trouvé un moyen
           dée d’employer cette viande, à faire avec   plus rationnel de tirer parti de la viande de
           l’eau pure, un bouillon qui évapore, cons­  leurs bœufs sauvages. Ils se sont appliqués
           tituant un extrait de bouillon. C’était une   à perfectionner leurs procédés de salaison ;
           manière de tirer un certain parti de la chair   ils ont ajouté l’enfumage à l’action anti­
           des bœufs sauvages; mais ce mode d’exploi­  septique du sel marin, et ils ont fini par
           tation de la chair des animaux est bien in­  tirer parti, de cette manière, des viandes des
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