Page 642 - Les merveilles de l'industrie T1
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638                  MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

               par la terre qui forme le fond du salin. L’artifice   trée dans la dernière pièce ou cabeceiro. De là elle
               employé consiste à recouvrir cette terre d’une cou­  passe dans les meios, comme dans l’Ouest elle passe
               che mince de sel adhérente au sol. Sur cette couche   des adernes dans les œillets. Mais à ce moment in­
               et pour empêcher que, plus tard, le sel ne vienne   tervient une différence sérieuse entre les deux pro­
               s’y souder au fur et à mesure qu’il se déposera de   cédés. En effet, les meios de chaque étage ne sont
               l’eau concentrée, on étend avec adresse, comme   pas tous destinés à jouer le même rôle. Dans les
               une sorte de vernis, une couche très-mince d’argile   meios de cima l’eau achève de s’affiner; c’est là que
               et de sable. Voici comment est conduite cette opé­  se termine le dépôt de sulfate de chaux (codejo)
               ration délicate :                         commencé dans les cabeceiros. Mais il ne faut pas
                 « Le meio étant bien propre, on en marche soigneu­  permettre que le sel s'y dépose; c’est seulement
               sement le fond à plusieurs reprises, et, à plusieurs   dans les meios de baixo que doit avoir lieu la récolte.
               reprises également, on le roule à l’aide d’un cy­  Celle-ci, lorsque la saison marche bien, se fait tous
               lindre en bois (circio) de 1 m,50 de long sur 0m,30 de   les jours de la manière suivante : le saunier ramasse
               diamètre. Lorsque le sol s’est, de cette façon, bien   avec soin (et il faut qu’il soit habile) et ramène au
               rassis, on envoie sur chaque meio quelques centi­  milieu du cristallisoir le sel déposé tant à la surface
               mètres d’eau provenant des chauffoirs. En deux ou   qu’au fond de celui-ci. L’outil dont il fait usage est
               trois jours, cette eau est évaporée à sec; on la re­  un racle de sapin mince et léger, mesurant 80 cen­
               nouvelle deux ou trois fois, en continuant ces mouil­  timètres sur 22 centimètres, et dont le manche a
               lures (mol/iaduras), jusqu’à ce que le sol soit recou­  4 mètres de longueur environ. Le sel, ainsi récolté
               vert d’un tapis de sel bien uniforme. Quelquefois on   sous une épaisseur d’eau notable, est mis ensuite à
               renforce encore cette couche de sel en laissant sé­  égoutter sur les chemins pendant quelques heures,
               journer sur les meios, pendant quelques jours, une   puis transporté aux meules sur les grandes chaussées.
               quantité notable d’eau concentrée que l’on renvoie   « Si la saison est bonne, chaque meio de baixo four­
               ensuite aux chauffoirs, lorsque la couche déposée   nit, tous les deux jours, 30 à 50 kilogrammes de
               paraît avoir une épaisseur convenable au but qu’on   sel. La récolte dure trois mois environ (t). »
               se propose. t
                 « Quoi qu’il en soit, lorsque le meïo est recouvert   On voit que le procédé d’extraction du sel
               d’une épaisseur de sel suffisante, le saunier laisse   à Aveiro présente une particularité remar­
               sécher le tapis salin pendant un jour ou deux, puis   quée : c’est la confection d’un sol particulier,
               il le recouvre de l’argile qui doit empêcher l’adhé­
               rence entre cette première couche et le sel de la   d’un feutre, qui est destiné à protéger le
               récolte. C’est une opération difficile que celle qui   dépôt du sel.
               consiste à répandre bien également cette couche   On peut noter comme différence avec le
               mince d’argile; les sauniers d’Aveiro ont, pour
               l’exécuter, des tours de main ingénieux : je citerai   procédé suivi dans l’ouest de la France, que
               celui-ci qui m’a le plus frappé.          la récolte se fait sous une couche d’eau plus
                « A l’entrée du meïo, près de la rigole ou caneja qui   épaisse que sur les marais de la Bretagne et
              amène l’eau de la pièce précédente, le saunier fait   de la Vendée.
              un batardeau dans lequel il laisse arriver une cer­
               taine quantité d’eau concentrée. Dans cette eau il   Les sels d’Aveiro et de Figueira sont ac­
              délaye avec soin, pour chaque meïo, une trentaine   quis principalement par le Brésil et par les
              de litres d’argile bleuâtre (audula) et en fait une   États-Unis. Chacune de ces nations absorbe
              bouillie aussi homogène que possible; puis, rompant
              brusquement la digue de son batardeau, il laisse   les deux cinquièmes des quantités expor­
              écouler sur la couche de sel l’eau concentrée qui   tées; le cinquième restant est pris par l’An­
              entraîne et dissémine sur toute la surface l’argile   gleterre, la Russie, la Suède et la Norwége.
              qu’elle tenait en suspension; cette argile se dépose
              rapidement, et la petite quantité d’eau à laquelle   Ce sel est recherché pour les salaisons; il
              elle était mélangée s’évapore. Sur cette couche d’ar­  est également l’objet d’un commerce impor­
              gile et de sel le saunier étend alors, et de la même   tant pour la consommation intérieure du pays.
              façon, une couche mince de sable blanc et fin, et le
              salin est prêt à entrer en travail.
                                                           Résumons maintenant ce que nous a ap­
                «La marche suivie pour la fabrication du sel à
              Aveiro ressemble beaucoup à celle qui est suivie   pris cette excursion à travers les salines de
              sur les marais de l’ouest delà France. Chaque jour,   Portugal.
              on donne de l’eau aux pièces préparatoires , en   Ce qui frappe, c’est surtout ce qui se passe
              ayant soin que toute la hauteur d’eau se maintienne
              à 15 centimètres environ. L’eau arrive ainsi concen­  (1) Mémoire cité, pages 288-292.
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