Page 606 - Les merveilles de l'industrie T1
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C02                    MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.


                 rompt pas complètement la récolte du      mètres de la moie. Le sablon se conserve
                 sablon.                                   ainsi pendant plusieurs années.
                   L’ustensile dont on se sert pour gratter   Cette récolte occupe pendant la saison la
                 le sable, se nomme havet. C’est une planche   majeure partie de la population pauvre du
                 épaisse de cinq centimètres, longue de deux   littoral.
                 mètres, et haute de trente-trois centimètres,   Quand il s’agit d’exploiter sa moie, le sau­
                 garnie, à la partie inférieure, d’une bande   nier enlève, dans la partie seulement où il
                 de fer de même longueur, haute de six cen­  veut l’attaquer, l’argile qui la recouvre :
                 timètres, et large d’un centimètre à la par­  puis, il creuse perpendiculairement avec
                 tie supérieure, et d’un millimètre à la par­  une bêche. 11 n’enlève jamais de la moie
                 tie inférieure. A cette planche sont adaptés   que le sablon nécessaire à l’alimentation de
                deux morceaux de bois, qui la dépassent de   la saline pendant vingt-quatre heures.
                deux côtés. Un côté sert de brancard, pour   Il dispose ensuite ce sablon dans une cuve,
                placer le cheval, et l’autre sert au conduc­  qui a la forme d’un carré de 3 mètres de côté,
                teur, pour lever le havet quand il veut for­  de 38 centimètres de profondeur, et qui se
                mer les monceaux de sablon.                compose de quatre madriers, avec un fond
                   C’est de l’appréciation du conducteur,   en planches. Le tout repose sur des madriers
                qui donne plus ou moihs de pression au     placés sur le sol.
                havet., en mettant le pied dessus, que dé­   Le saunier place au fond de cette cuve
                pend généralement le plus ou moins de      deux couches de paille entre des planches
                qualité de la matière récoltée.            peu épaisses; c’est entre ces planches et
                   De trois en trois mètres, en allant d’abord   la paille que l’eau s’infiltre, après avoir tra­
                de l’est à l’ouest, le conducteur lève son   versé la couche de sablon.
                havet., et laisse le sable entraîné par-dessus   Une fois la cuve pleine, l’arrosage com­
                lequel il passe.                           mence et dure environ quatre heures. On
                  Les rangs de havelage finis, on fait le   verse pendant ce temps sur la cuve environ
                même travail du nord au sud. Cette opéra­  20 hectolitres d’eau douce. En Angleterre
                tion se répète deux fois le jour, et, au bout   et en Écosse, où cette même opération s’exé­
                de quatre à cinq jours, on a des monceaux   cute avec quelques variantes, on remplace
                de sablon d’un mètre cube environ, distants   l’eau douce par l’eau de mer.
                les uns des autres de deux mètres.           Les filtrations s’opèrent environ pendant
                  Le saunier réunit alors cinq ou six tom­  quatre heures. Cette eau filtrée s’appelle la
                bereaux attelés de deux bêtes, et porte le   brune.
                sablon dans un trou creusé hors de la por­   La brune tombe dans deux tonneaux, dis­
                tée de la mer, à une profondeur de 2 mètres   posés à cet effet dans l’intérieur de la saline.
                50 centimètres. Ce trou est circulaire, son   La première eau sortie de la cuve ne se cris­
                diamètre est d’environ 8 mètres. Quand il est   talliserait pas bien, quoiqu’elle contienne
                comblé, on élève le sablon au-dessus du sol   plus de sel que la dernière; elle est reçue dans
                autant que les attelages peuvent y monter.   le premier tonneau. Celle qui vient ensuite
                Cet amas de sablon s’appelle moie.         tombe dans le second tonneau et sert à mi­
                   La provision faite, le saunier recouvre la   tiger le trop de force de la première. Le mé­
                inoie avec de l’argile délayée, qu’il foule   lange est fait à l’appréciation du saunier,
                avec un pilon, en ayant soin de former une   sans aucune théorie; la seule pratique le
                 pente vers le milieu où se trouve un petit   guide : l’aréomètre est aussi inconnu aux '
                 canal qui porte les eaux pluviales à deux   pauvres sauniers de l’Avranchin qu’aux pa­
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