Page 607 - Les merveilles de l'industrie T1
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INDUSTRIE DU SEL.                                603

           ludiers bretons. Le pèse-liqueur dont on se   Le combustible est introduit dans les four­
           sert à Avranches pour apprécier la valeur   neaux par une ouverture de 20 centimè­
           de la brune, est un petit morceau de bois   tres. La fumée s’échappe du côté opposé,
           creux, en forme de boîte à rasoirs, profond   par une ouverture de même grandeur, et se
           de six centimètres, dans lequel on dépose   dégage par le trou percé dans la couverture
           trois boules en cire de la grosseur d’un œuf   du bâtiment.
           de fauvette, et qu’on remplit ensuite de    On puise la brune dans le tonneau avec
           brune. Lorsque les trois boules de cire sur­  un vase en bois de 10 litres environ, et on
           nagent, la brune est excellente ; s’il n’y en a   emplit les chaudières.
           que deux, elle est moins bonne, et, si deux   Arrivé à ce point, le saunier fait un feu
           coulent au fond, elle ne vaut rien. Les  1 ardent, pour amener promptement l’ébulli­
           termes des sauniers sont : la brune porte   tion.
           ou la brune ne porte pas. C’est ainsi qu’au-   Une heure et demie s’écoule sans que le
           trefois, les salpêtriers appréciaient la den­  saunier ait autre chose à faire qu’à entrete­
           sité de leurs liqueurs au moyen d'un œuf   nir le feu et écumer la brune. Ce temps
           mis à flotter dans le liquide.            écoulé, la brune commence à cristalliser. Le
             II s’agit maintenant d’obtenir, par l’éva­  saunier puise de nouveau liquide dans le
           poration de la liqueur, le sel extrait des sa­  tonneau, pour remplir la chaudière, dont
           bles.                                     le contenu a diminué par l’évaporation, et
             Les salines d’Avranches sont d’une sim­  il augmente le feu, pour revenir le plus
           plicité toute primitive. Une saline est un   promptement possible à l’ébullition. Il s’é­
           bâtiment carré de 6 mètres de côté, haut   coule encore 30 minutes, et les cristaux de
           d’environ 2 mètres. Les murs sont cons­   sel apparaissent.
           truits en argile, la charpente est en bois, et   Le sel est alors retiré des chaudières
           la couverture en paille. Il n’y a ni plancher   avec une pelle en bois, et déposé dans
           ni cheminée. La fumée s’échappe par un    un panier d’osier, de forme conique.
           simple trou percé dans la couverture, comme   La durée totale de toute cette opération,
           cela existait autrefois dans les maisons   que l’on appelle bouillon, est de deux heures
           des Gaulois et des Celtes. Le bâtiment est   seulement.
           donc une véritable hutte,car on n’y voit pas   La quantité de sel produite par un bouil­
           de fenêtres.                              lon est d’environ 14 kilogrammes. Comme
             Lorsqu’on veut évaporer l’eau salée, on   il n’y a pas d'interruption pendant la nuit,
           établit, au milieu de la pièce, trois fourneaux   il en résulte qu’on fait, par vingt-quatre heu­
           qui se touchent, mais qui sont divisés en   res, 175 kilogrammes, lesquels, vendus au
           deux à l’intérieur. Creusés dans le sol à une   prix moyen de 7 cent. 1/2, donnent par
           profondeur de 40 centimètres, ces fourneaux   jour une somme de 13 fr. 25. Si l’on ajoute
           s’élèvent à 30 centimètres seulement au-des­  à cette recette le prix des cendres, qui sont
           sus du sol. C’est sur ces trois fourneaux à   revenues à un certain prix pour servir d’en­
           peu près carrés, que sont placées les chaudiè­  grais, et représente environ 0 fr. 22, on a
           res, qui sont en plomb, d’une profondeur   pour la recette d’un jour 13 fr. 50.
            de 8 centimètres et peuvent contenir 30 li­
           tres. Si on emploie le charbon comme com­    Voici maintenant quelles sont les dé­
           bustible, les chaudières sont supportées par   penses :
           des barres en fer. Mais l’usage le plus com­
           mun est de brûler du bois.
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