Page 602 - Les merveilles de l'industrie T1
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598                  MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

              avec lui une quantité considérable d’eau   lets. Quelques-unes n’ont même que huit ou
              mère très-riche en sels déliquescents; et par   dix œillets.
              suite, il est lui-même extrêmement déliques­  Un paludier, aidé par sa femme ou un en­
              cent. Voilà pourquoi un œillet rempli d’une   fant de douze à quatorze ans, peut cultiver
              eau très-magnésienne, très-dense, très-vis­  convenablement quarante à cinquante œil­
              queuse, ne peut plus donner de sel, et pour­  lets. Il faut, en outre, pour ce nombre d’œil­
              quoi la production s’arrête complètement.   lets, au moins deux porteurs.
              Il faut alors rejeter ces eaux, et les rem­  Les sauniers complètent la population du
              placer par des eaux neuves. Mais à cette   marais. Ce sont, comme nous l’avons dit, de
              époque la saison avancée a mis fin à la   simples porteurs de sel.
              campagne.                                   Le costume du paludier breton est très-
                Les salines les plus productives et les plus   pittoresque. 11 se compose d’un haut-de-
              nombreuses qui existent en Bretagne, sont   chausses large et plissé, de trois à quatre
              situées entre Guérande et Bourg de Batz. Le   gilets de toutes couleurs, superposés, éta­
              Bourg de Batz (fig. 373, page 593) est situé à   gés et tranchant l’un sur l’autre, et d’un
              unedemi-lieue au sud du Croisic. Le nom de   chapeau à larges bords relevés. Les femmes
              Batz signifiait, en langue celtique, lieu sub­  portent pour coiffure une ample étoffe atta­
              mergé, ce qui prouve combien est ancienne   chée sous le menton, aux barbes flottant
              dans ce pays l’exploitation des marais salants.  sur l’épaule ; une robe blanche à manche
                                                        rouge ou bleue, un jupon noir ou violet,
                Dans l’Ouest et la Bretagne, les salins sont   bordé de velours, et des bas rouges à four­
              partagés entre une foule de petits proprié­  chette.
              taires, ou locataires, qui exploitent le ma­  On appelle troque le commerce du trans­
              rais. Un œillet rend au paludier de 1,500 à   port du sel. Le saunier, muni d’un permis
              3,000 kilogrammes de sel, selon les années.   de douane, charge ses sacs sur des mules, et
              On vend un œillet 300 francs environ, ce   à la tête d’un convoi, qui se compose quel­
              qui fait revenir à environ cinq mille francs   quefois de cinquante à soixante mules, il se
              l’hectare de marais.                      rend dans les communes les plus éloignées
                Pour donner une idée du fractionnement de   de la côte, ou à Nantes. Dans les villages de
              l’exploitation des marais salants dans l’Ouest,   l’intérieur, il échange son sel contre du blé
              nous donnons ici (fig. 374, page 597) le plan   ou d’autres denrées, qu’il rapporte au ma­
              des marais salants qui occupent la plus   rais, ou aux négociants du Croisic.
              grande partie de l’île de Noirmoutiers.     Les saunières accompagnent souvent leurs
                La possession d’un marais salant est pres­  maris dans leur voyage. Montées sur leurs
              que une fortune pour une famille. Le palu­  mules, elles vont ainsi jusqu’à Brest ou
              dier est quelquefois un riche propriétaire,   Lorient.
              qui fait exploiter par un certain nombre    Dans les villes de la Bretagne, et surtout
              d’ouvriers quarante à cinquante œillets ; mais   à Nantes, il y a des entrepôts de sel. Des
              le plus souvent une famille, composée de   jeunes filles sont les porteuses de sel; elles
              l’homme, de la femme et des enfants, donne   vont remettre chez le consommateur le sel
              ses soins à un seul œillet, et gagne à peine   dans des camelles portées sur la tête.
              sa vie à ce travail pénible.                La figure 375 (page 601) représente les
                Les salines au-dessus de cent œillets sont   paludiers et sauniers de l'Ouest.
              des exceptions. Une saline se compose ha­
              bituellement de quarante à cinquante œil­
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