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482                  MERVEILLES DE L’INDUSTRIE


                     Angleterre, consentit à fournir les capitaux   chlorhydrique ; on préparait même avec cet
                     nécessaires pour cette entreprise et à en­  acide du sel ammoniac.
                     trer lui-même dans la société. Une associa­  Le procédé employé par Leblanc et Dizé
                     tion industrielle fut donc formée entre le   pour la préparation de la soude artificielle,
                      duc d’Orléans, Leblanc et Dizé.           était alors presque textuellement ce qu’il est
                        Deux actes authentiques dressés, l’un par   aujourd’hui. Il suffit, pour s’en convaincre,
                     Lutherland, notaire à Londres, en date du   de lire le rapport qui fut adressé par Darcet,
                     12 février 1790, l’autre par Brochard, no­  Desmarets et de Servières, à propos de la
                     taire à Paris, en date du 20 janvier 1791,  ; demande qui avait été faite par ce dernier,
                     stipulent les conventions des parties. Le   pour obtenir en son nom un brevet d’in-
                     duc d’Orléans apportait une somme de  | vention.
                     170,000 fr. ; Leblanc et Dizé, leurs procédés   Voici le texte de ce rapport, fait le
                     et secrets.                                23 septembre 1791.
                        Les deux articles les plus importants de ce
                                                                  « Procédé de conversion du sel de Glauber en soude.
                     traité sont ainsi conçus :                 — Au moyen d’un rouleau de fonte établi à l’instar
                                                                des égrugeoirs qui servent à écraser les fruits, on ré­
                       «Art. 1. D’autant que lesdits sieurs Leblanc et   duit en poudre très-fine et on mêle bien ensemble
                     Dizé sont auteurs d’un procédé secret pour la con­  les différentes matières dans les proportions sui­
                     fection de soude, de sel ammoniac et de blanc de   vantes :
                     plomb, et que la conduite desdits procédés exige   « Sel de Glauber desséché, 100 livres ;
                     une somme considérable d’argent, lesdits sieurs   « Terre calcaire pure, 100 livres. (C’est la craie
                     Leblanc et Dizé ont demandé à Sadite Altesse   telle qu’on la prépare à Meudon.)
                     Sérénissime qu’il leur fournisse la somme de   « Charbon en poudre, 50 livres.
                     deux cent mille livres tournois pour les mettre   « On étend ce mélange dans un fourneau de réver­
                     en état de poursuivre lesdits procédés avantageuse­  bère, dont je vais faire la description dans un ins­
                     ment...                                    tant; on bouche les ouvreaux et l’on donne le feu ; la
                       « Art. 7. Lesdits sieurs Leblanc et Dizé convien­  matière entre en fonte pultacée, bouillonne et se
                     nent et s’engagent envers S. A. S., c’est-à-dire   constitue en soude, qui ne diffère de la soude du
                     le sieur Leblanc, de mettre en dépôt le secret   commerce que par une richesse infiniment plus
                     pour faire de la soude dont il est auteur, et le   grande. La matière a besoin d etre remuée pendant
                     sieur Dizé le secret pour faire le blanc de plomb   la fusion ; on se sert pour cela de râteaux de fer,
                     dont il est aussi auteur, lesquels procédés, ainsi   rabots, ringards, etc., et il s’établit sur la surface de
                     que celui pour la confection du sel ammoniac,   la matière en fusion une multitude de jets de flamme
                     seront donnés par écrit et certifiés par M. Darcet,   pareils aux jets d’une chandelle. Lorsque le phéno­
                     et puis cachetés des cachets de S. A. S. le duc d’Or­  mène commence à disparaître, l’opération est finie.
                     léans et des sieurs Leblanc et Dizé, et déposés   On retire la matière avec des rabots de fer, et l’on
                     entre les mains du sieur Brochard, notaire à Paris,   pourrait la recevoir dans des vases de tôle, par exem­
                     pour n’être ouverts qu’en cas de mort ou aban-   ple, ou dans tout autre vase, si on voulait lui donner
                     donnement de fait des auteurs... »         la forme de blocs de soude du commerce.
                                                                 « Cette opération peut se faire dans des vaisseaux
                        Conformément aux conventions de cet     fermés, mais elle devient alors plus dispendieuse ;
                     acte, une manufacture de soude factice, di­  on peut aussi varier les doses, par exemple diminuer
                     rigée par Leblanc et Dizé, et entretenue par   les proportions de la terre et du charbon ; mais les
                                                                quantités qui viennent d'être prescrites sont celles
                     les fonds du duc d’Orléans, fut établie à
                                                                qui m’ont paru les plus convenables pour assurer
                     Saint-Denis, dès les premiers mois de 1791.  ] davantage le succès de l’opération. Les quantités
                     Bientôt sa prospérité ne put être mise en   que je viens de donner dans l’exemple fournissent
                                                                au delà de 150 livres de soude, qui donnent plus de
                     doute : 250 à 300 kilogrammes de soude
                                                                75 au quintal d’une soude d’excellente qualité.
                     étaient journellement produits. Non-seule­   « 11 existe une multitude de moyens de perfec­
                     ment on y fabriquait la soude, mais c’est   tionnement sur lesquels je fais chaque jour des
                     dans l’usine- même que le sel marin était   recherches. »
                     transformé en sulfate de soude et en acide   Jusqu’en novembre 1793, l’usine de Saint-
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