Page 487 - Les merveilles de l'industrie T1
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LES SOUDES ET LES POTASSES.                              483


           Denis marcha sans interruption. Mais, à cette   républicains possesseurs de quelques secrets ou pro­
                                                     cédés pour la fabrication de la soude par la décom­
          époque un coup terrible vint frapper la So­
                                                     position du sel marin, étaient invités à en faire part
          ciété. Le duc d’Orléans périt sur l’échafaud   au Comité de salut public, section des Armées, parce
          révolutionnaire, et ses biens furent mis sous   que la patrie pouvait en retirer des avantages pré­
           le séquestre. L’usine de Saint-Denis, dans   cieux pour ses moyens de défense.
                                                      « J’imagine que tu es parfaitement au fait de cette
          laquelle ce prince avait la plus grande part   affaire, et ton patriotisme t’aura suggéré sur-le-
          de propriété, se trouva comprise dans le sé­  champ, j’en suis sûr, le sacrifice de ton secret, fruit
          questre, et la fabrication de la soude se trouva   de tes longues et laborieuses recherches.
                                                       « Néanmoins, réfléchissant que ta délicatesse pour­
          ainsi complètement arrêtée. La manufacture
                                                     rait te présenter quelques scrupules dans l’entre­
          et son matériel furent vendus, et ses produits   prise de la fabrication de la soude, je m’empresse
           confisqués.                               de t’assurer, pour ma part, que de tout mon cœur je
                                                     consens, et même t’invite, s’il en était besoin, à révé­
            Cependant, dès l’année suivante, le besoin
                                                     ler à la nation tout ce que tu sais sur cet important
           de la soude se faisait sentir très-impérieu­  objet. Je suis persuadé que le citoyen Dizé trouvera
          sement en France. En guerre avec l’Europe,   dans son civisme tous les motifs nécessaires pour ap­
                                                     prouver cette démarche ; au reste tu es à portée d’en
          priéve des relations du commerce maritime
                                                     conférer avec lui. Mais quant à ce qui regarde mon
          qui lui avaient procuré jusque-là les soudes
                                                     intérêt personnel, je m’en rapporte entièrement à
          étrangères, la France allait voir un grand   tout ce que te dicteront ta prudence et ta probité.
          nombre de ses manufactures périr faute de   « Je fais des vœux bien sincères pour que ton se­
                                                     cret ait la gloire de contribuer d’une manière grande
          ce produit, qui est le point de départ de la
                                                     et efficace au salut de la patrie. »
          fabrication de tant de matières. C’est de
          cette situation désespérée que sortit la dé­  Leblanc n’hésita pas; il autorisa la publi­
          couverte de la soude factice.              cation de son procédé, jusque-là tenu se­
             Pour suppléer à la soude on essaya d’abord   cret.
          d’avoir recours à la potasse ; mais cette ma­  Du reste, il ne fit pas seul preuve de pa­
          tière, indispensable elle-même à la confec­  triotisme. On a déjà vu que Carny avait fait
          tion du salpêtre, manqua bientôt presque   le sacrifice de son procédé ; Chaptal, Guyton,
          totalement. D’ailleurs la potasse ne pouvait   Bérard, Athenas, Alban, Southon et Ribeau-
           remplacer la soude pour la fabrication du   court, s’empressèrent d’envoyer au Comité
           savon ni pour celle du verre.             de salut public, la description des procédés
            Dans cette extrémité, le Comité de salut   qu’ils avaient essayés ou mis en pratique
          public résolut de faire appel au patriotisme   pour la fabrication de la soude.
           des citoyens. Sur la proposition de Carny,   Toutes ces diverses méthodes furent sou­
           qui était lui-même l’inventeur d’un procédé   mises à des expériences comparatives par la
           particulier pour l’extraction de la soude, et   commission, qui était composée de Darcet,
           dont il faisait l’abandon, le Comité engagea   Pelletier, Lelièvre et Alexandre Giraud.
           tous les citoyens possesseurs de procédés ana­  Mais une seule atteignait le but proposé
           logues, à les divulguer, c’est-à-dire à en   dans ce grand concours ouvert au patrio­
           faire le généreux sacrifice à la patrie me­  tisme et au génie ; c’était celle de Leblanc.
           nacée.                                    En présence des résultats qui furent obtenus
             Dès l’annonce de cette mesure, Shée, l’as­  sous ses yeux par Leblanc et Dizé, la com­
           socié de Leblanc, écrivit à ce dernier la let­  mission ne pouvait hésiter. Elle proclama la
           tre suivante, qui, par son grand caractère,   supériorité de la méthode de Leblanc, c’est-
           est digne d’être conservée :              à-dire du procédé admirable qui survit en­
            « Je viens dans le moment de lire, dans la feuille   core aujourd’hui, et qui s’est conservé, de­
           intitulée le Moniteur, en date d’hier, que tous les   puis l’an II de la République, dans toutes les
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