Page 491 - Les merveilles de l'industrie T1
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LES SOUDES ET LES POTASSES.                              487


          ques contre l’exaspération de ces habitants.  time a été heureusement réparée de nos
            Les paysans provençaux voulant détruire   jours. Sa mémoire, à défaut de sa personne,
          les usines de soude factice qui devaient tant   a reçu l’hommage qui lui était dû. En 1855,
          enrichir Marseille, rappellent exactement   pendant l’Exposition universelle, lorsque
          les ouvriers de Lyon voulant jeter dans le   les produits innombrables qui découlent des
          Rhône, Jacquart, l’inventeur du métier qui   travaux de Leblanc se trouvaient réunis au
          devait tant enrichir leur ville.           Palais de l'industrie, sa famille adressait à
            Marseille adressait au gouvernement des   l’Empereur Napoléon III, une lettre conçue
          mémoires , dans lesquels la soude artifi­  en ces termes :
          cielle était dénoncée comme la matière la
          plus funeste aux progrès de l’industrie.    « Nicolas Leblanc, l’inventeur de la soude artifi­
          On demandait, en conséquence , que l’em­  cielle, a donné l’essor à toutes les applications de la
                                                    chimie aux arts.
          ploi en fût proscrit par le gouvernement.
                                                      « Sa découverte mémorable est la première dont
          La soude artificielle avait le tort, aux yeux   la science pure ait doté l’industrie ; c’est la seule
          de certaines personnes, d’être un produit de   que soixante ans de pratique n’aient pas modi­
          l’époque révolutionnaire, et on tenait à lui   fiée; c’est celle dont les applications ont le plus
                                                    grandi.
          faire expier son origine.                   « L’Europe fabrique aujourd’hui trois cenls mil­
            Dans son Histoire de l’Administration, Cos-   lions de kilogrammes de soude artificielle, qui don­
          taz rapporte, à ce propos, un fait dont le   nent à tous les arts chimiques une matière première
                                                    indispensable.
          souvenir mérite d’être conservé.
                                                      « La première usine fondée par Leblanc fut mise
            Sous la Restauration, le comte d’Artois,   sous le séquestre en 1703. Son procédé fut publié
          depuis Charles X, parcourait nos provinces   par la Convention comme étant d’utilité publique,
                                                    et l’inventeur dépouillé du fruit de son génie.
          du Midi. Le conseil municipal des Rouches-
                                                      « Leblanc mourut dans la détresse, à la suite de
          du-Rhône s’assembla pour désigner celle   ces malheurs immérités.
          des manufactures qu’on prierait le prince   « Le moment n’est-il pas venu, Sire, de rendre à
          d’honorer de sa visite. Quelqu’un ayant parlé   la mémoire de Leblanc un hommage qui lui est dû
                                                    à tant de titres, et qui serait à la fois une consolation
          d’une manufacture de soude factice, cette
                                                    pour sa famille et une réparation pour les souffran­
          proposition fut aussitôt rejetée, sur le motif   ces que ses contemporains lui ont infligées?
          que les établissements de ce genre étaient   « La France et l’Europe lui doivent une recon­
                                                    naissance dont Votre Majesté seule peut trouver
          des créations révolutionnaires. Aussi, lorsque
                                                    l’expression et dont il n’appartient qu’à elle de se
          le comte d’Artois fut conduit dans une sa­  faire l’interprète.
          vonnerie, ainsi que nous l’avons dit dans                « Les enfants de Leblanc. »
          la Notice précédente, eut-on l’attention d’en
          choisir une qui passait pour faire un usage   Datée du 9 novembre 1855, cette pétition
          exclusif des soudes naturelles. Le proprié­  était remise, quatre jours après, le 14 no­
          taire ne manqua pas de se glorifier auprès   vembre, par Napoléon III lui-même, au mi­
          du prince « de sa persévérance à suivre les   nistre de l’instruction publique, pour faire
          anciens errements.» Cette persévérance était   commencer l’information qu’elle rendait
          méritoire, car elle lui coûtait cher ; mais elle   nécessaire.
          dura peu. Ce bon fabricant finit par imiter   La section de chimie de l’Académie des
          ses confrères, et il s’en trouva bien (1).  sciences fut chargée par le Ministre de lui
                                                    faire un rapport sur le rôle joué par Le­
            La grande injustice dont Leblanc fut vie­  blanc dans la découverte de la soude arti­
                                                    ficielle et sur la part qu’avait eue dans la
            il) Costaz, Histoire de l’administration en France, t. I,
                                                    même découverte son collaborateur Dizé.
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