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                     n’était venue interrompre le cours d’une si   fabriques de ce genre furent établies par
                     noble existence.                          J.-B. Payen père, dans la plaine de Grenelle,
                       Les deux associés de Leblanc, Dizé et   près Paris (comprise aujourd'hui dans l’en­
                     Shée, eurent un sort moins pénible.       ceinte de la capitale) et par Darcet, à la
                       A l’époque du désastre de Saint-Denis,   Folie-Nanterre, ainsi qu’à Saint-Denis. En
                     Dizé était attaché, en qualité de pharmacien,   1803, ces fabriques fournissaient déjà par
                     aux hôpitaux militaires. 11 poursuivit avec  jour jusqu’à 22,000 kilogrammes de soude.
                     activité sa laborieuse et honorable carrière   En 1806, on vit des fabriques de soude s’éta­
                     de chimiste et de pharmacien. 11 vivait en­  blir, pour la première fois, à Rouen et à
                     core en 1832, et nous l’avons tous connu  I Marseille.
                     dans les laboratoires de chimie de la Sor­  Ce ne fut pas néanmoins sans de sé­
                     bonne et du Collège de France, qu’il ai­  rieuses résistances que cette industrie nou­
                     mait à fréquenter.                        velle fut acceptée dans nos villes manu­
                       Dizé n’avait pas été sans utilité pour Le­  facturières. Marseille, aujourd’hui le siège
                     blanc, dont il fut le collaborateur assidu.   d’une si immense production de cette-sub-
                     La mise en pratique de la fabrication de la   stance, se distingua surtout par son ardeur
                     soude a reçu, de ses connaissances chimi­  à proscrire la soude factice. Le commerce
                     ques et de son habitude des travaux de labo­ | maritime de cette ville se croyait menacé
                     ratoire, un secours très-efficace. Mais son  | par la suppression des soudes étrangères.
                     rôle en cela ne fut que secondaire. D’après   On ne réfléchissait pas que le commerce
                     l’enquête attentive à laquelle s’est livrée la  | intérieur et le développement de l’industrie
                     commission de l’Académie des sciences,  I nationale, devaient réparer au centuple la
                     c’est à Leblanc que revient, sans aucun   perte survenue de ce côté.
                     doute, le mérite tout entier de la découverte   Le préjugé contre les soudes factices était
                     de la soude factice.                      si répandu à Marseille, que la Chambre de
                       Shée, l’ancien intendant du duc d’Orléans,   commerce de cette ville écrivait, le 9 dé­
                     après avoir passé plusieurs années dans la   cembre 1814 : « On verra tôt ou tard, en
                     retraite, finit par se rallier au gouvernement   France, les savons fabriqués avec la soude
                     du premier consul. Il devint successivement   artificielle, abandonnés. »
                     conseiller d’Etat, préfet du Bas-Rhin, enfin   On s’imaginait, ou l’on voulait faire
                     sénateur.                                 croire, que le savon fait avec la soude ar­
                                                               tificielle était nuisible au linge et altérait la
                       Telle est l’histoire de l’invention de la   santé de ceux qui en faisaient usage.
                     soude artificielle. Ce récit éveille d’amères   Les préjugés populaires allèrent plus
                     pensées sur le déplorable sort qui est trop   loin. Les paysans provençaux assuraient que
                     souvent réservé aux inventeurs, sur l’indif­  les fabriques de soude empêchaient la pluie,
                     férence des gouvernements, ou peut-être   parce que la fumée des usines écartait les
                     seulement sur l’inexpérience où l’on était   nuages. On aurait peine à le croire, si le fait
                     en France, dans les premières années de  | n’était attesté par les témoignages les plus
                     notre siècle, de tout ce qui intéresse les dé­ J précis. En 1813 et 1816, les paysans du vil­
                     couvertes industrielles.                  lage de Septèmes menaçaient de détruire
                                                               les fabriques de soude établies dans cette
                       Après la mort de Nicolas Leblanc', l’in­  localité, et l’on fut obligé, pendant ces deux
                     dustrie de la fabrication des soudes prit   années, d’y cantonner des troupes de la gar­
                     un développement rapide. Les premières    nison de Marseille, pour protéger les fabri­
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