Page 156 - Bouvet Jacques
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« Monsieur, vous ne reconnaissez pas les reven-
<c deuses qui vous ont si souvent apporté de
<c Laus::mne les papiers des grands vicaires ? -
« Oh ! vraiment, c'est donc vous, mes braves
<c anciennes, qui avez été les commissionnaires
« autrefois! Oh! que j'ai du plaisir à vous re-
« voir!>> Et, dans l'effusion de sa joie, il embrassa,
sans respect humain, les deux vénérables contre-
bandîèr~s. pendant que, dans la multitude, les -
uns pleuraient d'attendrissement et les autres
criaient : Vive l'Oncle Jacques!
Quoique ce bon curé préférât la société des
gens du peuple, il se comportait parfaitement avec
les grands, faisait très bien les honneurs de son
salon ou de sa table, se présentait chez eux avec
une noble simplicité et une merveilleuse conve-
nance de langage et de manières. C'est là sur-
tout qu'il alliait la simplicité de la colombe à la
prudence du serpent : maître de son cœur et de
sa langue, jamais il ne dit que ce qu'il fallait dire ;
mais le peu qu'il disait était dit avec un air
d'abandon et de franchise qui captivait la con-
fiance et désarmait une indiscrète curiosité.
Un esprit observateur et une longue pratique
des hommes avaient donné à M. Bouvet une rare
connaissance du cœur humain; il en connaissait
les replis et les profondeurs, les instincts secrets
et les fibres les plus délicates ; il possédait une
merveilleuse dextérité à traiter les faiblesses et les
passions de ses semblables. Il lui suffisait quel-
quefois de deux mots, même patois, pour obtenir
le meilleur résultat. Une vénérable octogénaire
nous racontait ingénument naguère que, vers