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84                     MA RENCONTRE AVEC UN CHAMPION DU MONDE


             qu’éprouvaient-ils lorsqu’un coup de poing les        — Ne prends pas de risques avec ce gars-là,
             avait envoyés au tapis, lorsqu’ils entendaient     conseilla le manager à Dempsey. Liquide-le en
             l’arbitre compter les secondes ? Que se passe-t-il   vitesse.
             dans l’esprit d’un homme qui se sent le cerveau       Le dimanche était jour de gala au camp, et
             et les jambes en coton ? Je l’ignorais.            3 000 spectateurs environ s’y rassemblèrent. Un
               Comment pouvais-je écrire un article intéres­    reporter sportif me dit :
             sant sur ce sujet sans en avoir fait moi-même         — Alors, il paraît que tu te bats contre le
             l’expérience ? Si je ne le découvrais pas, pour mon   champion, tout à l’heure ?
             propre compte, jamais je ne deviendrais un bon        — Oh ! il ne s’agit pas d’un vrai combat,
             reporter sportif.                                  répliquai-je. Nous allons nous amuser un peu,
               Pour un tout jeune homme q ’i, de sa vie,        rien de plus. Dempsey m’a promis de ne pas taper
             n’avait enfilé un gant de boxe, c’était folie que   trop dur.
             de vouloir aller affronter sur le ring le grand       — Tu ne sais donc pas que quand Dempsey
             Dempsey lui-même. C’est pourtant ce que je fis.    se met à taper, il tape toujours trop dur ?
                                                                   Ayant revêtu un short et passé des gants et
                   Rendez-vous avec Dempsey                     des chaussures de boxe, je me postai près du ring.
                                                                Dempsey, le crâne pris dans un protège-tête de
                 n après-midi, j’allai donc voir Dempsey et lui   cuir marron, boxait un poids moyen pour se
             U    demandai s’il voulait bien m’avoir pour par­  mettre en forme. Lorsqu’ils eurent noué un corps
                 tenaire pendant un round, afin de me permettre  à corps, Dempsey assena négligemment une tape
             d’expliquer aux lecteurs de mon journal ce que     du revers de son poing sur la nuque de son
             l’on éprouve à être assommé de poing de maître.    adversaire.
             Dempsey, vêtu d’un pantalon de flanelle et d’un      — A quoi sert donc ce coup sur la nuque ?
             vieux chandail, était penché sur la balustrade de   demandai-je à un autre des entraîneurs de
             sa véranda. Il me toisa, puis, de sa voix étrange   Dempsey, qui se trouvait à côté de moi.
             ment aiguë, me demanda :                              — A assommer l’adversaire, répondit-il. Tiens,
               — Qu’est-ce qui se passe, mon gars ? Tu es       je vais te montrer.
             fatigué de la vie ?                                   Et il m’assena son poing ganté sur la nuque.
               Je lui affirmai que j’espérais bien survivre à ce   Les yeux embués, je sentis mes genoux plier et je
             round. Mon seul souci, ainsi que je le lui expli­  faillis m’effondrer. Un peu plus et j’étais K.-O.
             quai, venait de ce que je n’étais pas certain de   avant même d’avoir posé le pied sur le ring.
             pouvoir encaisser un direct à l’estomac. Je deman­    Puis, ce fut un énorme poids lourd, Farmer
             dai donc au grand homme de viser, si possible,     Lodge, qui se mesura avec Dempsey. Après quel­
             une autre partie de ma personne.                   ques jeux de jambes on vit se déclencher une
               Il accepta et me donna rendez-vous sur le ring   rafale de coups, et Dempsey lança un crochet du
             pour le dimanche suivant.                          gauche. Farmer s’effondra pour ne pas se relever.
               Kearns, le manager, s’inquiéta en apprenant la   Quatre de ses compagnons l’emportèrent.
             promesse que m’avait faite Dempsey. J’étais           — Allez. Gallico, me dit Kearns en s’appro­
             complètement inconnu dans le monde de la boxe,     chant de moi, à ton tour.
             ne l’oublions pas. Ma taille était respectable
             puisque je mesurais près de 1,90 m. Je pesais         Je porte un coup au champion !
             85 kilos. Le torse nu et sans lunettes, j’avais l’air
             aussi redoutable que n’importe quel boxeur pro­        earns fit les présentations comme s’il se fût
             fessionnel. Qui aurait pu deviner que, dans cette   K    agi d’un véritable match.
             grande carcasse, battait un cœur de lapin ?          — Dans ce coin, Jack Dempsey, champion du
               Toutes les machinations, toutes les intrigues qui   monde des poids lourds !
             ont cours dans le monde de la boxe, l’esprit enfié­   Une immense acclamation monta de la foule.
             vré de Jack Kearns les envisagea. Peut-être étais-je   — En face de lui, Paul Gallico, reporter du
             bien ce que je prétendais être, c’est-à-dire un    Daily News !
             inoffensif reporter ? Mais supposons que je sois      Un silence glacial s’abattit sur les 3 000 spec­
             envoyé par le camp de Firpo pour mettre Dempsey    tateurs.
             à mal avant le match de championnat ?...              — Qui est-ce ? cria une voix ironique.
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