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CES ANIMAUX SONT-ILS VRAIMENT SAUVAGES ?                                81


         l’homme et à lui faire confiance. Il est parvenu à un   dans ses yeux une véritable supplication. Le lynx avait
         résultat que des milliers d’experts en la matière n’au­  la, gueule et le museau enflés.
         raient pas cru possible : il a apprivoisé deux loups   L’homme s’accroupit, prit la tête du fauve entre ses
         gris.                                               mains et lui ouvrit doucement la gueule. L’un des
           Il les avait pris, tout petits encore, dans un jardin   grands crocs du lynx s’était planté dans sa langue, on
         zoologique. Quand ils sont devenue grands, il s’est   ne sait trop comment, et il ne pouvait plus la bouger.
         séparé de l’un d’eux, mais l’autre, nommé Sans Peur,   La blessure s’était infectée.
         est demeuré pendant des années son compagnon         Aussi doucement que possible (mais cela devait faire
         affectueux.                                        atrocement mal) Traband sortit le croc de la langue
           Baynes traitait Sans Peur comme un chien. Il le   enflée. Durant toute l’opération, il se tint prêt à se
         nourrissait de viande crue et se promenait avec lui à   relever d’un bond pour s’enfuir, mais le lynx ne
         travers champs et forêts. Les démonstrations d’amitié   broncha pas.
         terrifiantes de Sans Peur l’enchantaient (le loup lui   Quand ce fut fini, l’animal resta immobile quelques
         mordillait la joue, par exemple.)                  instants, détendu et sou­
           Quand Baynes faisait une conférence sur la nature   lagé. La main prudente
         et les animaux, Sans Peur y assistait, assis sur l’estrade.   d’un homme éberlué et
         Le naturaliste s’amusa plusieurs fois à le présenter dans   encore incrédule cares­
         les expositions de chiens. Sans Peur est mort de vieil­  sait le dos roux et gris.
         lesse, tout naturellement, un jour qu’il trottinait dans la   Puis, avec un dernier
         rue derrière son maître, en pleine ville.          « mrraou » le félin dis­
                                                            parut dans les bois.
                                                                                     ' XJz
                     Lynx en détresse
                                                              La sympathie
           Il n’est pas dans les bois d’animal plus traître que le
         lynx, ce grand * chat sauvage ». On ne s’attend pas à   des bêtes
         voir un lynx se tourner avec confiance vers un être   de la jungle
         humain. C’est pourquoi Phil Traband n’a pas soufflé
         mot de son aventure pendant des années. Il craignait   A Lambaréné, en
         que ses vieux copains de l’Oklahoma, chasseurs et   Afrique-Equatoriale fran­
         pêcheurs, se moquent de lui. Il m’a confié dernière­  çaise, l’hôpital du
         ment son secret.                                   Dr Schweitzer est une
           Phil cheminait dans l’herbe haute d’une prairie, à la   sorte d’oasis d’humanité perdue dans le désert sauvage.
         lisière d’une forêt, quand il entendit derrière lui quel­  Mais même les bêtes les plus farouches se montrent
         que chose qui ressemblait au cri d’un bébé. Au mo­  sensibles au respect que le grand missionnaire porte
         ment où il entrait dans la forêt, le cri se répéta plus   à tout ce qui vit.
         près de lui. Il se retourna et vit un lynx qui le suivait   Le gardien de nuit, à la porte du docteur, est un
         à pas feutrés.                                     imposant pélican d’Afrique. Il y a des années de cela,
           Saisi de terreur, il éprouva pourtant, au bout d’une   cet oiseau a attaqué une femme indigène qui transpor­
         minute, l’impression bizarre que ce cri était un appel   tait du poisson. Effrayée, elle l’a frappé avec une
         au secours. Il ne bougea pas et le grand félin s’appro­  pagaie, lui brisant une patte et lui abîmant une aile.
         cha. Quand l’animal fut tout près de lui, Traband lut   Le EX Schweitzer a guéri le pélican et lui a rendu
                                                                      la liberté, mais le grand oiseau a refusé de
                                                                      le quitter. Toutes les nuits, il vient se
                                                                      percher sur la porte du docteur pour
                                                                      monter la garde. On ne peut pas appri­
                                                                      voiser le phacochère, ce grand sanglier
                                                                      d’Afrique. Mais le phacochère peut s’appri­
                                                                      voiser tout seul...
                                                                        Le Dr Schweitzer a adopté un de ces
                                                                      féroces animaux auquel il a donné le nom
                                                                      inattendu de Joséphine, et le petit village
                                                                      africain s’est vite accoutumé à un curieux
                                                                      spectacle : chaque dimanche, le phacochère
                                                                      accourt vers la chapelle quand sonne la
                                                                      cloche de la mission, et il se tient aux côtés
                                                                      du EX Schweitzer pendant qu’il prêche...
                                              Adapté de l'American Mercury
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