Page 85 - Album_des_jeunes_1960
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Comment mon K.-O. me fit débuter dans la carrière littéraire.


































                                  MA RENCONTRE




          AVEC UN CHAMPION DU MONDE




                                                par Paul Gallico

          J   ’étais entré, frais émoulu de l’université,     Il y avait d’abord Dempsey lui-même, brutal,
               dans un journal de New York, comme cri­
                                                              solide, un boxeur-né qui n’avait peur d’aucun
              tique cinématographique. Il y avait six mois que  adversaire. Il l’avait prouvé le jour où il avait
          j’exerçais ce métier et j’étais assez fier de la qua­  arraché au gigantesque Jess Willard son titre de
          lité de mon travail lorsque le directeur du journal   champion du monde des poids lourds. Jamais, à
          me fit savoir qu’il ne partageait pas mon opinion   notre époque, on n’avait vu pareil combat sur un
          sur ce point. Il exigea mon renvoi.                 ring : dès le premier round, Dempsey avait envoyé
             L’incident aurait pu mettre un terme à ma        sept fois son adversaire au tapis ! Il portait bien
           carrière de journaliste si un confrère compatis­   son surhom de « Jack le Tueur géant ».
           sant ne s’était arrangé pour me « caser » secrète­   Il y avait aussi son élégant manager, Jack
           ment à la rubrique sportive du même journal.       Kearns, sans compter la foule des reporters spor­
                cette époque, le champion du monde des        tifs les plus célèbres et toute cette faune hétéro­
           poids lourds, Jack Dempsey, vainqueur de Georges   clite qui compose le monde du ring.
           Carpentier, se préparait à défendre son titre contre   Oui, j’avais trouvé des individus pittoresques
           Luis Firpo, le géant argentin. Etant reporter      pour en peupler mon reportage ; mais cela ne
           sportif, je fus envoyé au camp d’entraînement de   suffisait pas, je le sentais. Quelque chose me man­
           Dempsey avec mission d’en ramener un reportage     quait encore : la connaissance de la boxe.
           pittoresque sur la façon dont le champion du         J’avais assisté à de grands matches ; j’avais vu
           monde se préparait à ce match important.           des boxeurs mollir sur leurs jambes après un
             Les éléments colorés ne devaient pas me man­     direct au menton ; je les avais vus tomber, puis
           quer ; je m’en aperçus dès mon arrivée au camp.    se relever au prix d’un effort surhumain. Mais
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