Page 403 - Merveilles Industrie Tome 4
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LA BIÈRE.                                   397

         fabrication des bières jeunes, dix jours suffisent à la   d’une heureuse combinaison des proportions
         compléter ; si l’on opère en hiver, pour la fabrica­  d’alcool, de dextrine et de houblon.
         tion des bières de garde (Lager-bier), quatorze à
         quinze jours sont nécessaires.               M. Aimé Girard se demande à quelle
           « La bière est faite alors, ou du moins la phase   cause il faut attribuer cette harmonie de
         principale de sa fabrication est terminée ; c’est celle   goût, cette finesse, et il la trouve dans la
         qui correspond à la période tumultueuse des fermen­
         tations hautes, de la fermentation du raisin, par   rectitude et la simplicité de la fermentation
         exemple. La deuxième phase succède immédiatement   telle que la pratique le brasseur viennois.
         à la première : c’est alors la fermentation complé­  M. Aimé Girard ajoute que les travaux
         mentaire qui se produit, celle pendant laquelle la   de M. Pasteur donnent l’explication des
         bière s’achève, se perfectionne, et, en même temps,
         s’éclaircit.                              avantages du procédé viennois.
           « C’est à une température plus basse encore que
         dans le premier cas, que cette fermentation complé­  « Quelle est, en effet, dit M. Aimé Girard, la pré­
         mentaire doit être conduite, et les caves dans les­  occupation constante du brasseur viennois? C’est de
         quelles la bière, abandonnée à elle-même, la subit,   maintenir la température du moût aussi voisine que
         ne doivent jamais se trouver à une température su­  possible de zéro à partir du moment où il est mis
         périeure à 2° au-dessus de zéro.          en levain jusqu’à l’heure où la bière qui en résulte
           « Dans ces caves, véritables glacières formées de   doit être consommée. Or, à cette température, la
         galeries longitudinales, enfoncées dans le sol, soi- i   levûre alcoolique, la levûre de bière, peut seule vivre
         gneusement voûtées et mesurant de 15 à 20 mètres   et se développer ; la fermentation alcoolique, par
         de longueur, sont rangés, les uns à côté des autres,   conséquent, est la seule qui puisse franchement s’ac-
         quelquefois gerbés sur deux rangs, de grands fou­  complir, et le froid vient, à tout instant, mettre
         dres fabriqués avec un soin infini, dans lesquels la   obstacle à la production des fermentations secon­
         bière est entonnée, trouble encore et incomplète, au   daires que pourraient engendrer ces germes étran­
         sortir de la cuve de fermentation.        gers à la levûre, que M. Pasteur appelle les germes
           « A l’extrémité de chacune de ces galeries est ré­  de maladie, et dont il a si nettement démontré
         servée une grande chambre de 8 à 10 mètres de   l’action funeste sur les boissons alcooliques, de quel­
         hauteur, de même largeur que la cave, de 4 à 5   que nature qu’elles soient.
         mètres de profondeur, et séparée de la galerie elle-   « L’influence qu’exerce sur les qualités de la bière,
         même par une sorte de grille verticale, de forme   et notamment sur sa finesse, une élévation de tem­
         grossière, construite au moyen de madriers debout :   pérature même peu considérable, est extrêmement
         c’est la glacière proprement dite. Dans cette glacière,   remarquable, dit M. Aimé Girard, et beaucoup plus
         l’hiver venu, le brasseur emmagasine, en l'v préci­  importante qu’on ne le croit généralement. Une diffé­
         pitant par la voûte, une masse énorme de glace, à   rence de quelques degrés suffit pour modifier sensi­
         laquelle incombera plus tard la mission de refroidir   blement ces qualités : la finesse disparaît alors, et la
         l’air atmosphérique qui, par un jeu intéressant de   bière prend un goût grossier et commun. Une expé­
         densités, va circulant, d’une manière continue, de   rience, des plus simples, permet de s’en rendre
         l’intérieur de la cave à la glacière, au fur et à mesure   compte aisément : c’est celle qui consiste à laisser,
         qu’il se réchauffe, et de la glacière à la cave au fur et   exposée à la chaleur de l’air ambiant, une certaine
         à mesure qu’il se refroidit.              quantité de bière, dont une égale quantité est main­
           « Là, la bière reste, pendant de longs mois, aban­  tenue en cave, à basse température. Dégustées en­
         donnée au repos, la porte de la cave murée, soumise   suite au même moment, au bopt de quelques heures,
         à une température qui jamais n’excède 2°, et là elle   par exemple, les deux boissons se montrent déjà
         achève sa fermentation, s’améliore et s’éclaircit.  notamment différentes l’une de l’autre : celle qui est
           « C’est de là, enfin, que, mise en fûts, elle est, la   restée exposée à la chaleur a perdu une partie de sa
         nuit, afin d’éviter, autant que possible, l’élévation   finesse.
         de la température, livrée au consommateur. »
                                                     « Les débitants et les consommateurs le savent
                                                   bien, du reste. A l’aide de glace ils maintiennent,
                                                   dans les caves, la bière à une température aussi
           Tels sont les procédés suivis pour obtenir
                                                   basse que possible, et je n’ai jamais vu, à Vienne, la
         les bières, à Vienne, dans les brasseries de   bière livrée dans le verre à plus de 10 ou 12° cen­
         Dreher, de Liesing, de Saint-Marx, et on   tigrades. Déjà même, à cette température, la finesse,
         peut ajouter de Pilsen, en Bohême. La qua­  a légèrement diminué, et c’est seulement dans les
                                                   caves de la brasserie, à la température de 2°, que
         lité dominante de ces bières est la finesse,
                                                   l’on peut apprécier, d’une manière absolue, les qua­
         le moelleux et le goût tout spécial résultant   lités de la bière, telle que le brasseur l’a faite. »
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