Page 305 - Les merveilles de l'industrie T3 Web
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INDUSTRIE DE L’EAU.                                303


         La vente de l’eau était faite par abon- '  I abonnements produisirent. . .  43,883 liv.
       neinents de trois , six ou neuf années ,    La vente de l’eau aux fon­
       à raison de 30 livres par an, pour une    taines ..........................................  66,278
       fourniture d’un muid d’eau en 24 heures
                                                                Total.................112,161  liv.
       (274 litres). Des fontaines de vente furent
       établies successivement à la porte Saint-   Ce qui était loin de représenter l’intérêt
       Honoré, à la Chaussée-d’Antin, à la porte   des capitaux engagés.
       Saint-Denis et à l’entrée de la rue du      Deux noms célèbres se rencontrent à cette
       Temple. La compagnie acheta, en outre,    période de l’histoire financière de la com­
       en 1783, moyennant 130,000 livres, les    pagnie des eaux. Dès l’année 1783, le comte
       établissements des frères Vachette, qui   de Mirabeau, père du célèbre orateur révo­
       avaient été autorisés, en 1771, à vendre   lutionnaire, avait attaqué l’entreprise, en
       de l’eau de Seine élevée avec des ma­     dénonçant l’extrême exagération des pro­
       nèges.                                    messes et des assertions des frères Périer.
         Deux nouvelles machines à vapeur furent   Le défenseur attitré de la compagnie était
       établies au Gros-Caillou; on se proposait   Beaumarchais, qui se chargea de la tâche
       d’en établir une à la gare de l’Hôpital, mais   difficile de repousser les attaques du comte
       ce projet ne fut point réalisé.           de Mirabeau. Mais il suffit de lire ses deux
         En même temps qu’on exécutait ces tra­  Mémoires pour reconnaître que sa verve et
       vaux, on s’occupa de la distribution des   son entrain habituels lui font ici presque
       eaux dans l’intérieur de la ville.        entièrement défaut. Son style, froid et lourd,
         Cependant le capital social avait été   ne rappelle en rien la série de ses Mémoires
       promptement absorbé ; on créa donc, au    qui ont fait une si grande réputation de po­
       mois de décembre 1781, 600 nouvelles ac­  lémiste au processif auteur du Mariage de
       tions de 1,200 livres ; au mois d’août 1784,   Figaro. Les écrits passionnés de ces deux
       2,200 au même prix ; enfin, en juillet 1786,   jouteurs préoccupaient vivement l’attention
        1,000 actions à 4,000 livres chacune. Le   générale; le public commençait à perdre
       nombre des actions se trouva porté ainsi à   ses illusions, et l’engouement conçu parles
       5,000 et le capital social élevé à la somme   capitalistes en faveur de l’entreprise, faisait
       énorme, eu égard au résultat obtenu, de   place à une méfiance bien fondée. La vérité
       8,800,000 fr.                             était si évidemment du côté de Mirabeau,
         L’agiotage ne date pas d’aujourd’hui;   que la baisse des actions suivit immédiate­
        cette lèpre financière sévissait au dix-hui­  ment la publication de son deuxième J/e-
        tième siècle, comme elle a sévi de nos jours :   moire, en 1786 (4).
        Law et ses actionnaires avaient fait école.   Un des principaux détenteurs d’actions
        L’agiotage perdit une entreprise des mieux   conçut alors le projet hardi de faire rache-
        conçues. Grâce aux manœuvres des intéres­
                                                   (1) On aura une idée des exagérations du Mémoire de
        sés, et bien avant que l’affaire eût donné au­  Beaumarchais, lorsqu’on saura qu’il évaluait à 70,000 muids,
        cun bénéfice (de 1778 à 1786), la valeur de   soit à 19,180 mètres cubes par vingt-quatre heures, la
                                                I quantité d’eau qui serait vendue à Paris ; de sorte qu’en
        l’action de la compagnie des eaux, d’abord
                                                 adoptant le prix du tarif de la compagnie, soit 50 fr. le
        de 1,200 livres, s’éleva progressivement à   muid, le montant de la recette brute annuelle aurait été
                                                 de 3,500,000 livres. Jamais les machines de Chaillot et du
        4,000, de sorte que la dernière émission
                                                 Gros-Caillou n’ont pu élever 19,180 mètres cubes d’eau, et,
        d’actions eut lieu à ce cours, que rien ne   en 1858, la quantité d’eau vendue par la ville avant l’an­
       justifiait.                               nexion de la banlieue (en déduisant bien entendu les con­
                                                 cessions gratuites) étaient à peine de 25,000 mètres cubes,
          En 1786, l’année la plus productive, les  et le montant de la recette brute de 1,1'00,0(0 fr.
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