Page 300 - Les merveilles de l'industrie T1
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POTERIES, FAÏENCES ET PORCELAINES.                             295


           Voici ce qu’il disait au sujet de la porce­  bilone. C’était la réponse aux ouvertures
           laine :                                    diplomatiques qui avaient été faites à ce po­
                                                      tentat par l’un des facteurs du célèbre négo­
             « La ville de Tingui n’a rien de remarquable, si   ciant Jacques Cœur, pour favoriser le com­
           ce n’est sa fabrication de vases et plats de porcelaine,   merce français aux échelles du Levant. Cette
           dont la fabrication m’a été décrite de la manière
           suivante : on rassemble une certaine espèce de terre,   réponse se termine ainsi :
           tirée, comme les métaux, des mines, et on la laisse
           exposée au vent, à la pluie et au soleil durant trente   « Si te mande par ledit ambassadeur, un présent,
           à quarante ans, de sorte que les personnes qui en   c’est à sçavoir du baume fin de nostre saincte vigne,
           font la provision, ne la font que pour leurs enfants   un bel liépart, trois escuelles de pourcelaine de Si-
           et descendants. Pendant tout ce temps la terre n’est   nant, deux grandz platz ouverts de pourcelaine, deux
           pas remuée, et par cette longue conservation, elle   touques (1) verdes de pourcelaine, deux bouquetz (2)
           s’affine et devient convenable au façonnage de tous   de pourcelaine, ung lavoir ès-mains et un garde-
           les genres de vaisselle... Ensuite elle est peinte en   manger de pourcelaine ouvré, une jatte de fin gin­
           couleurs diverses et cuite dans le four. Ainsi, ceux   gembre vert (3). »
           qui ramassent cette terre, la laissent à leurs fils et
           petits-fils. Beaucoup de marchandises faites de cette
           terre sont vendues dans la ville, où l’on peut acheter   C’est aux recherches de Vallet de Viri-
           huit gobelets en porcelaine pour un sou de Venise. »  ville que sont dus ces derniers renseigne­
                                                      ments.
             Le célèbre voyageur arabe, Ibn-Batoutah,   Un demi-siècle nous sépare encore de l’é­
           dont nous avons parlé lorsque nous avons   poque à laquelle les Portugais vont intro­
           traité des faïences hispano-mauresques de   duire la porcelaine en Europe sur unegrande
           Malaga, visita la Chine vers 1345. Dans l’ou­  échelle, et pourtant elle est déjà assez répan­
           vrage arabe qu’il publia et que nous avons   due. Elle est estimée à un assezhaut prix en
           cité à propos du vase de l’Allambrah, il dé­  France, pour que sa possession constitue
           crit les poteries chinoises, comme les plus   une véritable richesse. Dans les inventai­
           belles du monde, et il ajoute que cette porce­  res des maisons et châteaux de princes et
           laine était importée jusqu’aux Etats Barba-   des riches bourgeois, on mentionne la por­
           resques. On peut conclure de là que la por­  celaine aussi bien que les livres et les
           celaine dut pénétrer en Sicile, en Italie, en   manuscrits. Les porcelaines chinoises sont
           Espagne et enfin en France, non comme      souvent l’objet de stipulations dans les tes­
           objet de négoce, mais à titre de curiosité.  taments.
              Le père Jordanus, qui fut nommé, en       Les Chinois, qui avaient le plus grand
            1330, à l’un des évêchés de l’Inde, rapporte   intérêt à égarer l’opinion publique sur la
           ce qu’il avait appris de la Chine pendant   composition d’une matière qui leur valait
           un long séjour en Orient, et il ajoute :   de grands bénéfices, gardaient scrupuleuse­
            « Je n’ai pas appris autre chose digne de   ment le secret sur tout ce qui concernait la
            « relation, sinon que l’on y fabrique des   porcelaine. Ils cherchaient à tromper, par
            « vases magnifiques ayant des propriétés par­  les contes les plus absurdes, ceux qui s’ap­
            ti ticulières. »                          pliquaient à connaître sa fabrication. Les
              La porcelaine était connue en France
            bien avant le xive siècle. Le roi Charles Vil   11) Les touques étaient des pièces de vaisselle de forme
                                                      angulaire, probablement des bouts ou des coins de table.
            posséda plusieurs pièces d’un service de
                                                      D’après Du Cange touquet dans le français du nord signi­
            table en porcelaine chinoise. En 1447,    fiait coin, angle.
            Mathieu de Coucy, l’un de nos chroniqueurs   (2) Bouquetz, bouteilles à anses, de buttiens, bouchot,
                                                      bouquet.
            français, rapporte le texte d’une lettre adres­
                                                       (3) Manuscrit de la Bibliothèque de la Sorbonne (cité par
            sée au roi par le Soudan d’Égypte ou de Ba-   Vallet de Viriville).
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