Page 295 - Les merveilles de l'industrie T1
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                      passé dieu et patron des potiers chinois.  la craquelure sur telle partie de la porce­
                        Cette légende recueillie par nos mission­  laine qui leur avait été désignée d’avance.
                      naires n’a pas de fondement réel. Les Chi­  Nous ne suivrons pas M. Stanislas Julien
                      nois révèrent, en effet, un dieu qu’ils nom­  dans la description qu’il fait des manufac­
                      ment Poussah ou Pou-téa ; mais ils n’enten­  tures qui furent successivement établies
                      dent pas adorer en lui un simple potier qui   dans les dix-huit provinces de l’empire chi­
                      se serait jeté dans un four pour activer la   nois. Contentons-nous de dire que le nombre
                      cuisson de sa porcelaine. Ce dieu de la reli­  de ces manufactures s’éleva à soixante-dix.
                      gion chinoise est celui du contentement et   Nous ne croyonspas davantage devoir indi­
                      du bonheur. On le représente (figure 213,   quer les différentes espèces de porcelaines,
                      page 288) sous la forme d’un vieillard obèse.   au nombre de trente-quatre, que produi­
                      Sa bouche est largement ouverte par un    saient ces manufactures (1). Nous nous bor­
                      rire perpétuel ; sa robe qui enveloppe seule­  nerons à indiquer les cinq espèces de porce­
                      ment les membres inférieurs, laisse le torse   laine antique qui étaient les plus recher­
                      à découvert. Il y a loin de cette image ré­  chées, en dehors de celles de Kinq-te-
                      jouie et plantureuse à celle d’un homme   tchin.
                      que le désespoir pousse au martyre.         La plus estiméede ces cinq espèces de por­
                        En parlant de la porcelaine bleu de ciel   celaine, est le l'ch'aï-Yao, dont nous avons
                      après la pluie, nous avons employé le mot   déjà parlé (couleur du ciel après la pluie}.
                      craquelure; ce mot doit être expliqué.Voici   Le secret de sa fabrication est perdu de­
                      ce que nous apprend à ce sujet Alexandre   puis longtemps ; mais elle est tellement
                      Brongniart.                               prisée que si l’on est assez heureux pour
                                                                en trouver, même les plus petits fragments,
                        « Quand il n’y a pas accord parfait entre la pâte   on les porte dans les cheveux, dans les
                      et la couverte, si cette dernière est trop dure, elle
                      parait grenue; si elle est trop fusible, elle pénètre   coiffures de cérémonie, ou autour du cou,
                      dans la pâte ou coule vers la partie inférieure des   en guise de collier.
                      pièces; sa surface est, ou picotée comme la coquille   La seconde espèce est la porcelaine de
                      d’un œuf, ou couverte de petits bouillons, ce qui
                      la rend impropre à recevoir aucune dorure écla­  Youeï-Yao, faite sous la dynastie des Song
                      tante. Si la couverte n’est pas en rapport de di­  (900-1279). Elle est d’un très-beau bleu.
                      latation avec la pâte, elle se fendille : on dit alors   La porcelaine truilée de cette provenance
                      qu’elle est tressaillée, craquelée ou truilée. Mais lors­  est à tressaillures très-régulières et très-
                      que par hasard cette tressaillure acquiert une sorte
                                                                serrées.
                      de régularité, qu’elle couvre la pièce de fissures
                      croisées, à peu près également espacées, ce défaut   La troisième espèce, dite porcelaine des
                      difficile à faire naître devient une curiosité, une   magistrats, était d’un bleu foncé ou clair,
                      rareté, et est alors recherché comme une qualité.
                                                                avec une légère teinte rosée. Quelques-
                      De là le prix qu’on met aux porcelaines truitées de la
                      Chine, »                                  unes avaient des veines colorées comme
                                                                les pattes d’une écrevisse. Les couleurs
                        De tout temps, et pour toutes les pro­  les plus estimées sont le blanc de lune,
                      ductions céramiques, les Chinois ont atta­  le bleu pâle et le vert foncé ; plus tard le
                      ché le plus grand prix à la craquelure. Ils   bleu foncé.                        •
                      étaient parvenus à produire régulièrement,   La porcelaine antique qui occupe le qua­
                      méthodiquement, par un coup de main       trième rang, est celle dite Ko-Yao, ou du
                      hardi, cet accident ou ce défaut. Ils obte­  frère aîné. 11 y avait deux frères céramistes
                      naient ainsi des porcelaines craquelées ou
                                                                  (1 Livbe 1", Examen des anciennes porcelaines, pages
                      truitées à volonté, et faisaient même porter   1-Î8.
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