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296                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.


                      fables qu’ils contaient de parti pris, se ré­  « cha de Bude, qui est actuellement captif à Vienne.
                                                                 « Les Turcs s’en servent pour boire et manger, parce
                      pandaient ensuite en Europe, et étaient
                                                                 « que l’on croit qu’elle découvre les poisons par le
                      acceptées par les esprits les plus sérieux.  « changement soudain de sa transparence, et qu’elle
                        Ainsi, un célèbre médecin, italien Bar-  : « résiste à leur action. Je le tiens d’un capitaine il-
                      bosa, contemporain de Scaliger, dit gra­  î « lustre, l’un de mes amis. Je ne l’aurais pas changé
                                                                 « pour un autre en argent du même poids, tellement
                      vement que la porcelaine chinoise est fabri­
                                                                 « je suis certain de la valeur de cet objet. Ces quali-
                      quée au moyen de coquilles marines et de   « tés sont d’autant plus probables qu’il était à l’usage
                      coquilles d’œufs, qui doivent avoir été ense­  « d’un général turc, d’une si grande célébrité. Pra-
                                                                 « gue, 12 février, année 1600. »
                      velies dans la terre pendant quatre-vingts
                                                                  « J’hésite d’autant moins, ajoute Salmati, à pla­
                      ou cent ans. Scaliger lui-même répéta cette   cer ici cette lettre que lorsque je profitais à Leipzig
                      absurdité.                                 de cet excellent parent que je viens de citer avec
                        Un savant jurisconsulte et antiquaire de   éloge, j’ai louché ce bol de mes propres mains, et
                                                                 Payant rempli de vin délicieux, je l’ai vidé encore
                      Padoue, Guido Panciroli, écrivait vers 1595 :  et encore avec la plus vive satisfaction. »
                                                 C 1 OlufH- ’
                        « Dans l’antiquité, la porcelaine n’était pas connue,   François Bacon, l’illustre chancelier d’An­
                      on la connaît aujourd’hui : c’est une pâte formée de   gleterre, dans une plaidoirie qu’il prononça
                      gypse, de coques d’œufs écrasées, de carapaces de
                      crevettes et d’autres matériaux, qui, étant bien ma­  pour une question de succession, et qui est
                      laxée, est mise en terre dans un endroit secret que   reproduite dans ses œuvres, s’exprime ainsi :
                      le père montre à ses enfants; il y a tout intérêt à ce
                      que personne ne le connaisse; elle y reste cachée
                                                                   « Si nous avions en Angleterre, comme il en existe
                      pendant quatre-vingts ans; après ce temps les en­  en Chine, des couches de porcelaine, formées d’une sorte
                      fants ou les petits-enfants l’extraient. C’est seulement
                                                                 de plâtre enseveli dans la terre, purifié par un long
                      après l’avoir rendue fluide et ramenée à l’état ma­
                      niable qu’ils la façonnent en vaisselles précieuses,   | séjour souterrain, nous posséderions une espèce de
                                                                 mine artificielle. »
                      très-belles à voir, tout à fait transparentes, de toute
                      forme et de toute couleur, suivant leur désir. Ces
                      vaisselles ont cette vertu que si quelque matière vé­  Ainsi, les meilleurs esprits de ce temps ac­
                      néneuse vient à y être versée, immédiatement elle
                                                                 ceptaient et propageaient des fables ridicu­
                      se casse. Celui qui peut enfouir la pâte ne la retire
                      jamais : il la laisse à ses descendants comme une ri­  les touchant la porcelaine de la Chine et
                      chesse dont ils pourront tirer un grand gain. Ce   du Japon. Cependant cette poterie était déjà
                      trésor est plus précieux que l’or même ; cependant   i répandue et recherchée dans toutes les col-
                      on ne le retire guère dans son état naturel, il est
                      presque toujours falsifié. »             I lections, et elle allait bientôt, sous l’impul-
                                                               ' sion active des Portugais et des Hollandais,
                        Pour corroborer tout ce qu’a avancé Pan­  devenir une branche importante du co'rii -
                      ciroli, son éditeur Salmati, renchérissant   merce européen.
                      sur lui, ajoute que la porcelaine a la pro­  Consignons ici quelques chiffres que grou­
                      priété de déceler et d’écarter les boissons   pent les auteurs de Y Histoire de la porce­
                      vénéneuses.                                laine, MM. Jacquemart et Blant.
                                                                   En 1630, lorsque le sieur Wagenaar, am­
                        « Panciroli a bien dit que les vaisselles de por­  bassadeur des Provinces-Unies (Hollande)
                      celaine ne supportent pas le poison, et Simon Si-  ! près.les empereurs du Japon, se dispo­
                      monius, médecin de Maximilien, roi de Pologne,   sait à retourner à Batavia, il reçut 21,567
                      archiduc d’Autriche, et médecin en chef du roi de
                      Bohême, a confirmé cette observation dans une   pièces de porcelaine blanche, « et un mois
                      lettre qu’il adressait de Prague à Leipzig, avec   auparavant il en était venu à Desima une
                      une vaisselle de porcelaine à son beau-fils Frédéric   très-grande quantité, mais dont le débit
                      Meyer. « Mon bien aimé parent, je vous envoie, dit
                                                                 ne fut pas grand, n’ayant pas assez de
                      « Simonius, un bol de porcelaine précieuse, qui fut
                      « trouvée, entre autres choses, dans les coffres du pa-  fleurs. »
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