Page 28 - Les merveilles de l'industrie T1
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22                    MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

                   à anses, à rosaces dorées, garnis d’entrelacs en   leurs titres de noblesse. Les doges faisaient, de
                   émaux de couleur ; des verres à pied de toutes   temps en temps, une visite officielle, pour ainsi
                   formes ; des assiettes en verre incolore décorées exté­
                   rieurement de verre de couleur, d’émaux, d’orne­  dire, aux principales verreries de Murano, et
                   ments dorés, de torsades à jour, de filets croisés;   marquaient ainsi l’importance qu’ils atta­
                   des vases en verre craquelé, filigrané, blanc, opa­  chaient à cette branche nourricière de l’in­
                   que, coloré, avec ou sans rosaces; des miroirs   dustrie de Venise (fig. 9, page 17).
                   magnifiques, aux encadrements somptueux, enrichis
                                                               Ainsi contenue et protégée à la fois par des
                   de cabochons et de pierres précieuses (1). »
                                                             peines et des récompenses, la verrerie acquit
                     Aussi le gouvernement vénitien prenait-il
                                                             à Venise une prospérité qui fut pour la cité
                   les plus grandes précautions pour tenir secret
                                                             la source de revenus immenses. La richesse
                   l’art de cette fabrication. Aucun étranger
                                                             fabuleuse des Vénitiens au Moyen Age, tirait
                   n’était admis dans les ateliers; les biens de
                                                             sa source principale de la fabrication des
                   tout ouvrier qui quittait sa patrie étaient con­
                                                             glaces, ainsi que des verres peints et colorés.
                    fisqués. Les fours et tout le matériel des
                   fabriques de verre étaient relégués dans l’île   Cependant, malgré les décrets tyranniques
                   de Murano. Là, on fabriquait les glaces, qui   du gouvernement vénitien, l’industrie de la
                    étaient ensuite polies à Venise. La besogne   décoration du verre pénétra en Allemagne,
                    était partagée entre les ouvriers qui, occupés   vers le xvi' siècle. L’immense succès des
                    à un seul genre de travail, ne possédaient pas   produits de Venise avait excité l’émulation
                    le secret tout entier de la fabrication. Des lois   de l’Allemagne, qui se mit à fabriquer des
                    sévères, promulguées par le conseil des Dix,   objets de verre coloré, et le caractère na­
                    défendaient aux ouvriers de rien révéler à   tional donna à ce produit un cachet tout
                    l’étranger. L’article 26 des statuts déclare que   particulier d’originalité. Les vases que l’in­
                    « si un ouvrier transporte son art dans un   dustrie allemande produisit, et qui sont con­
                    pays étranger, au détriment de la République,   nus sous le nom de Vidrecomes, ont presque
                    il lui sera envoyé l’ordre de revenir. S’il   tous la forme cylindrique. De dimensions
                    n’obéit pas, on mettra en prison les personnes
                                                              très-variées et parfois excessives, ils portent
                    qui lui appartiennent déplus près... Si, mal­  des peintures émaillées, dont les motifs les
                    gré l’emprisonnement de ses parents, il s’ob­  plus fréquents représentent l’aigle impériale
                    stine à vouloir demeurer à l’étranger, on   portant des armoiries sur ses ailes, ou bien
                    chargera quelque émissaire de le tuer. » Dura   l’Empereur et les électeurs de l’Empire. Les
                    lex! La loi était dure ; mais le conseil des   écus armoriés sont un motif qui se répète
                    Dix ne faisait pas les choses à demi.     souvent. Ces vases, qui ont un caractère de
                      Les privilèges particuliers accordés à l’in­  lourdeur très-prononcé, ne manquent pas ce­
                    dustrie du verre, tempéraient la sévérité de   pendant de goût artistique. Les verreries al­
                    ce code draconien. Les habitants de Murano   lemandes fabriquèrent aussi des coupes, des
                    avaient le titre de citoyens de Venise, avec   veilleuses, des assiettes en verre incolore ou
                    les droits y attenants, en particulier celui de   coloré, décoré de bandes d’émail.
                    pouvoir prétendre aux plus hauts emplois de
                                                                Vers le xvne siècle, le goût des verres
                    la République. 11 y avait une législation spé­
                                                              émaillés fit place à celui des verres taillés
                    ciale, applicable seulement à l’île de Murano.
                                                              et gravés. Cette fabrication élut domicile
                    Les nobles patriciens pouvaient, sans déro­
                                                              en Bohême.
                    ger, s’allier aux filles.des maîtres verriers, et
                    les enfants issus de ces unions conservaient  A cette époque, l’orgueilleuse Venise était
                                                              déchue de son ancienne splendeur. Elle n’é­
                      (1) Histoire d’un morceau de verre, in-12. Paris, 18C9,
                    p. 199.                                   tait plus la reine des mers. La découverte de
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