Page 97 - Les fables de Lafontaine
P. 97
LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS 93
6. — LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS
EN SOCIÉTÉ AVEC LE LION
Sources. — Phèdre ; Corrozet ; Haudent. Le Roman de Renart
traite le même sujet, mais de façon toute différente.
Intérêt. — Fable de satire sociale. Il n’y a pas plus de souci
de la vraisemblance que dans « la Grenouille qui se veut faire aussi
grosse que le Bœuf », et pour la même raison : plus les person
nages offriront de disparate, mieux apparaîtra la vérité du lieu
commun ici développé. Ce lieu commun, La Fontaine l’a exprimé
ainsi, dans la fable n du livre V : « Ne nous associons qu’avec-
que nos égaux. » Tout l’intérêt de la fable est dans l’attitude et
le discours du Lion, son hypocrisie juridique, l’explosion finale
de sa brutalité. Après quoi, la fable tourne court, nul ne demande
son reste, pas même le lecteur qui devine fort bien la morale.
La Génisse, la Chèvre et leur sœur1 la Brebis,
Avec un fier * Lion, Seigneur * du voisinage,
Firent société *, dit-on, au temps jadis 1,
2
Et mirent en commun le gain et le dommage *.
Dans les lacs * de la Chèvre, un cerf se trouva pris. 5
Vers ses associés, aussitôt, elle envoie *.
Eux venus, le Lion par ses ongles * compta
Et dit : « Nous sommes quatre à partager la proie 3. »
Puis, en autant de parts, le cerf il dépeça,
Prit pour lui la première, en qualité de Sire *. 10
— « Elle doit être à moi, dit-il, et la raison,
C’est que je m’appelle Lion.
A cela l’on n’a rien à dire.
La seconde, par droit *, me doit échoir 4 encor * ;
Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort. 15
Comme le plus vaillant, je prétends * la troisième.
Si quelqu’une de vous touche à la quatrième,
Je l’étranglerai tout d’abord *. »
1. Sœur, au sens large : sœur en douceur et en vie paisible.
2. Ton de conte merveilleux, 25. — 3. Harmonie imitative, 23, t. —
4. Complément de l’infinitif, 29, d.