Page 88 - Les fables de Lafontaine
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84         LES FABLES DE LA FONTAINE

        C’est ce que j’ai fait à l’égard de quelques moralités, du succès
      desquelles je n’ai pas bien espéré.
        La vie d’Esope.   Il ne reste plus qu’à parler de la vie
                        d’Esope. Je ne vois presque personne
      qui ne tienne pour fabuleuse celle que Planude1 nous a laissée.
      On s’imagine que cet auteur a voulu donner à son héros un carac­
      tère et des aventures qui répondissent à ses fables. Cela m’a paru
      d’abord spécieux, mais j’ai trouvé à la fin peu de certitude en cette
      critique ; elle est en partie fondée sur ce qui se passe entre Xantus
      et Esope ; on y trouve trop de niaiseries ; et qui est le sage à qui
      de pareilles choses n’arrivent point ? Toute la vie de Socrate n’a
      pas été sérieuse. Ce qui me confirme en mon sentiment, c’est que
      le caractère que Planude donne à Esope est semblable à celui
      que Plutarque lui a donné dans son Banquet des Sept Sages,
      c’est-à-dire d’un homme subtil et qui ne laisse rien passer. On
      me dira que le Banquet des Sept Sages est aussi une invention.
      Il est aisé de douter de tout. Quant à moi, je ne vois pas bien
      pourquoi Plutarque aurait voulu imposer à la postérité dans ce
      traité-là, lui qui fait profession d’être véritable partout ailleurs
      et de conserver à chacun son caractère. Quand cela serait, je ne
      saurais que mentir sur la foi d’autrui : me croira-t-on moins que
      si je m’arrête à la mienne ? Car ce que je puis est de composer
      un tissu de mes conjectures, lequel j’intitulerai : Vie d’Esope.
      Quelque vraisemblable que je le rende, on ne s’y assurera pas,
      et, fable pour fable, le lecteur préférera toujours celle de Planude
      à la mienne.















       1. Planude était un moine byzantin du XIVe siècle ; voir Introduction,
      16.
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