Page 86 - Les fables de Lafontaine
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82         LES FABLES DE LA FONTAINE
        Utilité pédagogique C’est pour ces raisons que Platon, ayant
           de la fable :   banni Homère de sa république1, y a
           1. la morale.   donné à Esope une place très honorable.
                          Il souhaite que les enfants sucent ces
        fables avec le lait ; il recommande aux nourrices de les leur
        apprendre, car on ne saurait s’accoutumer de trop bonne heure à
        la sagesse et à la vertu. Plutôt que d’être réduits à corriger nos
        habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes, pendant qu’elles
        sont encore indifférentes au bien ou au mal. Or, quelle méthode
        y peut contribuer plus utilement que ces fables ? Dites à un enfant
        que Crassus, allant contre les Parthes, s’engagea dans leur pays
        sans considérer comment il en sortirait, que cela le fit périr, lui
        et son armée, quelque effort qu’il fît pour se retirer. Dites au
        même enfant que le Renard et le Bouc descendirent au fond d’un
        puits pour y éteindre leur soif, que le Renard en sortit s’étant
        servi des épaules et des cornes de son camarade comme d’une
        échelle ; au contraire, le Bouc y demeura pour n’avoir pas eu
        tant de prévoyance, et, par conséquent, il faut considérer en toute
        chose la fin : je demande lequel de ces deux exemples fera le plus
        d’impression sur cet enfant? Ne s’arrêtera-t-il pas au dernier
        comme plus conforme et moins disproportionné que l’autre à la
        petitesse de son esprit? Il ne faut pas m’alléguer que les pensées
        de l’enfance sont d’elles-mêmes assez enfantines, sans y joindre
        encore de nouvelles badineries : ces badineries ne sont telles qu’en
        apparence, car, dans le fond, elles portent un sens très solide.
        Et, comme par la définition du point, de la ligne, de la surface,
        et par d’autres principes très familiers, nous parvenons à des
        connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre, de même
        aussi, par les raisonnements et les conséquences que l’on peut
        tirer de ces fables, on se forme le jugement et les mœurs, on se
        rend capable de grandes choses.
        Utilité pédagogique   Elles ne sont pas seulement morales,
           de la fable :   elles donnent encore d’autres connais­
          2. l’instruction.  sances. Les propriétés des animaux et
                          leurs divers caractères y sont exprimés ;
        par conséquent, les nôtres aussi, puisque nous sommes l’abrégé
        de ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraison­
        nables. Quand Prométhée voulut former l’homme, il prit la qua­
        lité dominante de chaque bête ; de ces pièces si différentes il
        composa notre espèce ; il fit cet ouvrage qu’on appelle le petit

          1. C’est au livre III de sa République que Platon s’occupe ainsi des
        poètes, mais il ne nomme personne.
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