Page 82 - Les fables de Lafontaine
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78         LES FABLES DE LA FONTAINE
         regarde sans s'étonner l’agitation de l’Europe 1 et les machines qu’elle
         remue pour le détourner de son entreprise, quand il pénètre dès sa
        première démarche jusque dans le coeur d’une province2 où l’on
         trouve à chaque pas des barrières insurmontables et qu’il en subjugue
        une autre 3 en huit jours pendant la saison la plus ennemie de la guerre,
        lorsque le repos et les plaisirs régnent dans les cours des autres princes,
        quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi
        des éléments4 et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu
        comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme
        un Auguste, avouez le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour la
        gloire aussi bien que lui, malgré l’impuissance de vos années ; vous
        attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son
        rival dans l’amour de cette divine maîtresse. Vous ne l’attendez pas,
        Monseigneur, vous le prévenez. Je n’en veux pour témoignage que
        ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d’esprit,
        de courage et de grandeur d’âme que vous faites paraître à tous les
        moments. Certainement, c'est une joie bien sensible à notre Monarque,
        mais c'est un spectacle bien agréable pour l’univers que de voir ainsi
        croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de
        peuples et de nations. Je devrais m’étendre sur ce sujet, mais, comme
        le dessein que j’ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces
        que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables et n’ajouterai
        aux vérités que je vous ai dites que celle-ci, c’est, Monseigneur, que
        je suis, avec un zèle respectueux,
          Votre très humble, très obéissant et très fidèle serviteur,

                                        De La Fontaine.












         1. La coalition de l’Espagne, de la Hollande et de l’Angleterre, en
        1667, à propos de la guerre de Dévolution. — 2. La Flandre conquise
        en partie en 1667. — 3. La Franche-Comté, conquise en février 1668.
        — 4. Louis XIV était parti en plein hiver.
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