Page 81 - Les fables de Lafontaine
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A Monseigneur le DAUPHIN



                 Monseigneur,

        S’il y a quelque chose d’ingénieux dans la république des Lettres,
       on peut dire que c’est la manière dont Esope a débité sa morale. Il serait
       véritablement à souhaiter que d’autres mains que les miennes y eussent
       ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des Anciens1
       a jugé qu’ils n’y étaient pas inutiles. J’ose, Monseigneur, vous en pré­
       senter quelques essais. C’est un entretien convenable à vos jeunes
       années ; vous êtes en un âge où l’amusement et les jeux sont permis
       aux princes, mais en même temps vous devez donner quelques-unes e
       de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux
      fables que nous devons à Esope. L’apparence en est puérile, je
       le confesse ; mais ces puérilités servent d’enveloppe à des vérités
       importantes.
        Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne regardiez favorable­
       ment des inventions si utiles, et tout ensemble si agréables : car que
      peut-on souhaiter davantage que ces deux points? Ce sont eux qui
       ont introduit les sciences parmi les hommes. Esope a trouvé un art
       singulier de les joindre l'un avec l’autre. La lecture de son ouvrage
       répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui
       apprend à se connaître, sans qu’elle s’aperçoive de cette étude et tandis
       qu’elle croit faire tout autre chose.
        C’est une adresse dont s’est servi très heureusement celui2 sur
       lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions.
       Il fait en sorte que vous apprenez sans peine, ou, pour mieux parler,
       avec plaisir, tout ce qu’il est nécessaire qu’un prince sache. Nous
       espérons beaucoup de cette conduite ; mais, à dire la vérité, il y a des
       choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, Monseigneur,
       les qualités que notre invincible Monarque vous a données avec la nais­
       sance, c’est l’exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous
       le voyez former de si grands desseins, quand vous le considérez qui


        1. Socrate ; voir le début de la préface. — 2. M. de Périgny, président
       de la Chambre des enquêtes au Parlement, premier précepteur du Dau­
       phin ; mort en 1670 et remplacé par Bossuet.
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