Page 461 - Les fables de Lafontaine
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LES DEUX CHÈVRES              457
               Les moins fréquentés des humains.        5
        Là, s’il est quelque lieu sans route et sans chemins,
        Un rocher, quelque mont pendant en précipices1,
        C’est où * ces dames vont promener leurs caprices ;
        Rien ne peut arrêter cet animal grimpant1.

                                           2
               Deux Chèvres, donc, s’émancipant,       io
               Toutes deux ayant patte blanche,
        Quittèrent les bas prés 3, chacune de sa part *.
        L’une vers l’autre allait pour quelque bon hasard *.
        Un ruisseau se rencontre, et, pour pont, une planche :
        Deux belettes * à peine auraient passé de front   15

                        Sur ce pont 4 *;
        D’ailleurs, l’onde rapide et le ruisseau profond
        Devaient faire trembler de peur ces amazones *.
        Malgré tant de dangers, l’une de ces personnes
        Pose un pied sur la planche, et l’autre en fait autant. 20
        Je m’imagine voir s, avec Louis le Grand,
               Philippe-Quatre qui s’avance
               Dans l’Ile de la Conférence.
               Ainsi s’avançaient pas à pas,
               Nez à nez, nos aventurières             25
               Qui, toutes deux, étant fort hères,
        Vers le milieu du pont, ne se voulurent pas
        L’une à l’autre céder. Elles avaient la gloire
        De compter dans leur race, à ce que dit l’histoire *,
        L’une, certaine chèvre au mérite sans pair     30
        Dont Polyphème • ht présent à Galathée,
               Et l’autre, la chèvre Amalthée *
               Par qui fut nourri Jupiter 6 7 .
        Faute de reculer, leur chute fut commune ;
               Toutes deux tombèrent dans l’eau ’.    3 S


         1. Dont les aspérités du sommet sont en surplomb sur des précipices.
        — 2. Les vers 1 à 9 forment une entrée en matière descriptive. —
        3. Les prés du bas, de la vallée. •—■ 4. Rythme, 27, a. — 5. Digression
        à la fois historique et humoristique. Il s’agit du Traité des Pyrénées,
        négocié en 1650, dans l’île des Faisans, dite de la conférence, au milieu
        de la Bidassoa. ■— 6. Allusion aux discussions à propos de préséances
       entre gens titrés, chacun faisant valoir la qualité de sa noblesse. —
        7. Conclusion brève.
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