Page 459 - Les fables de Lafontaine
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3. — DU THÉSAURISEUR ET DU SINGE
Sources.— Straparole ; Tristan l’Hermite. Cette fable fut pu
bliée en 1691, dans le Mercure Galant, livraison de mars.
Intérêt. — Tableau antithétique de l'Avare et du Prodigue,
symbolisé par le Singe. La Fontaine excuse le Singe et réserve
ses sévérités pour l’Avare ; il avait ses raisons personnelles. Le
tableau est pittoresque et très vivant, dans la veine de la fable
ornée.
Un homme accumulait *. On sait que cette erreur
Va souvent jusqu’à la fureur *.
Celui-ci ne songeait * que ducats * et pistoles *.
Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu’ils sont frivoles *.
Pour sûreté1 de son trésor, 5
Notre Avare habitait un lieu dont Amphitrite *
Défendait aux voleurs de toutes parts l’abord *.
Là, d *’une volupté selon moi fort petite
Et selon lui fort grande, il entassait toujours.
Il passait les nuits et les jours 10
A compter, calculer, supputer2 sans relâche,
Calculant, supputant, comptant, comme à la tâche,
Car il trouvait toujours du mécompte * à son fait * :
Un gros Singe, plus sage *, à mon sens *, que son maître,
Jetait quelque doublon • toujours par la fenêtre 15
Et rendait le compte imparfait.
La chambre, bien cadenassée,
Permettait de laisser l’argent sur le comptoir *.
Un beau jour, Dom * Bertrand 3 se mit dans la pensée *
D’en faire un sacrifice au liquide manoir * i. 20
Quant à moi, lorsque je compare
Les plaisirs de ce Singe à ceux de cet Avare,
Je ne sais bonnement auxquels donner le prix :
Dom Bertrand gagnerait près de certains esprits ;
1. Article, 29, c. — 2. Accumulation, 23, a. — 3. C’était le Singe,
appelé déjà Bertrand dans IX, 16, le Singe et le Chat. — 4. C’est-à-
dire de les jeter dans la mer.