Page 358 - Les fables de Lafontaine
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354 FABLES. — LIVRE NEUVIÈME
Que les gens du bas étage *,
On pourrait aucunement *
Souffrir * ce défaut aux hommes ;
Mais que tous, tant que nous sommes 3, 25
Nous mentions, grand et petit,
Si quelque autre l’avait dit,
Je soutiendrais le contraire.
Et même, qui mentirait
Comme Ésope et comme Homère, 30
Un vrai menteur ne serait 4.
Le doux charme * de maint songe *
Par leur bel art inventé,
Sous les habits du mensonge *
Nous offre la vérité. 35
L’un et l’autre a fait 5 *un livre 0
Que je tiens digne de vivre
Sans fin et plus s’il se peut.
Comme eux ne ment pas qui veut.
Mais mentir comme sut faire 40
Un certain * Dépositaire
Payé par son propre mot 7
Est d’un méchant et d’un sot.
Voici le fait.
Un trafiquant * de Perse,
Chez son voisin, s’en allant en commerce 8, 45
Mit en dépôt un cent 9 de fer, un jour.
« Mon fer ? » dit-il, quand il fut de retour.
— Votre fer? il n’est plus. J’ai regret de vous dire
Qu’un rat l’a mangé tout entier.
J’en ai grondé mes gens * ; mais qu’y faire ? un grenier 50
A toujours quelque trou. » Le trafiquant admire *
Un tel prodige, et feint de le croire pourtant.
3. Cheville, 27, h. — 4. Négation, 29, k. — 5. Accord, 29, a. —
6. Les Fables d’Ésope. Mais Homère a fait deux livres : l’Iliade et
l’Odyssée. — 7. Allusion au vers 73, où le mensonge du dépositaire lui
est, en effet, servi en paiement. •— 8. Construisez : "Un trafiquant
de Perse s’en allant en commerce (partant pour son commerce, en
voyage), mit en dépôt chez son voisin. On peut trouver que.La Fontaine
abuse ici de l’inversion. — 9. Un cent, cent livres, soit un quintal.