Page 359 - Les fables de Lafontaine
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LE DÉPOSITAIRE INFIDÈLE 355
Au bout de quelques jours, il détourne l’enfant
Du perfide voisin ; puis, à souper * convie
Le père10 * qui s’excuse et lui dit en pleurant : 55
« Dispensez *-moi, je vous supplie.
Tous * plaisirs, pour moi, sont perdus.
J’aimais un fils plus que ma vie :
Je n’ai que lui ; que dis-je? hélas! je ne l’ai plus,
On me l’a dérobé. Plaignez mon infortune. » 60
Le Marchand repartit : « Hier11 au soir, sur * la brune,
Un chat-huant * s’en vint * votre fils enlever.
Vers un vieux bâtiment je le lui vis porter. »
Le père dit : « Comment voulez-vous que je croie
Qu’un hibou * pût jamais emporter cette proie ? 65
Mon fils, en un besoin *, eût pris le chat-huant.
— Je ne vous dirai point, reprit l’autre, comment,
Mais enfin, je l’ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je,
Et ne vois rien qui vous oblige
D’en douter un moment après ce que je dis. 70
Faut-il que vous trouviez étrange *
Que les chats-huants d’un pays
Où le quintal de fer par un seul rat se mange12
Enlèvent un garçon pesant un demi-cent13 ? »
L’autre vit où tendait cette feinte aventure. 75
Il rendit le fer au Marchand
Qui lui rendit sa géniture *.
Même dispute * advint entre deux voyageurs.
L’un d’eux était de ces conteurs
Qui n’ont jamais rien vu qu’avec un microscope : 80
Tout est géant chez eux ; écoutez-les : l’Europe
Comme l’Afrique aura des monstres * à foison.
Celui-ci se croyait l’hyperbole permise.
« J’ai vu, dit-il, un chou plus grand qu’une maison.
— Et moi, dit l’autre, un pot aussi grand qu’une église. » 85
Le premier se moquant, l’autre teprit : « Tout doux *!
On le fit pour cuire vos choux. »
10. Les vers 50-55 abondent en rejets, 27, c. — 11. Hier, une
syllabe par synérèse, 27, f. — 12. Réfléchi au sens passif : est mangé.
— 13. Soit cinquante livres.