Page 310 - Les fables de Lafontaine
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3°4 FABLES. — LIVRE HUITIÈME
Est celui qui vient quelquefois
Fermer pour toujours leur paupière 4.
Défendez-vous par la grandeur,
Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse 5,
La Mort ravit tout sans pudeur. 15
Un jour, le monde entier accroîtra sa richesse 6.
Il n’est rien de moins ignoré
Et, puisqu’il faut que je le die *,
Rien où l’on soit moins préparé.
Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie, 20
Se plaignait à la Mort que, précipitamment,
Elle le contraignait de partir tout à l’heure *,
Sans qu’il eût fait son testament,
Sans l’avertir au moins. « Est-il juste qu’on meure
Au pied * levé ? dit-il. Attendez quelque peu : 25
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle ;
Il me reste à pourvoir un arrière-neveu * ;
Souffrez * qu’à mon logis, j’ajoute encore une aile.
Que vous êtes pressante, ô déesse cruelle!
— Vieillard, lui dit la Mort, je ne t’ai point surpris. 30
Tu te plains sans raison de mon impatience.
Eh ! n’as-tu pas cent ans ? trouve-moi, dans Paris,
Deux mortels aussi vieux, trouve-m’en dix en France!
Je devais *, ce * dis-tu, te donner quelque, avis
Qui te disposât à la chose ; 35
J’aurais trouvé ton testament tout fait,
Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait * ; >
Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause
Du marcher 7 et du mouvement,
Quand les esprits *, le sentiment *, 40
Quand tout faillit en toi ? plus de goût, plus d’ouïe,
Toute chose, pour toi, semble être évanouie ;
4. Allusion possible à la mort du duc d’Anjou, fils de Louis XIV,
mort quelques jours après sa naissance, en 1672. — 5. Ici, on pense
à la duchesse d’Orléans, morte en 1670, bien connue par la célèbre
Oraison funèbre de Bossuet. — 6. Voir Pluton *. — 7. Infinitif-nom,
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