Page 274 - Les fables de Lafontaine
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270 FABLES. — LIVRE SEPTIÈME
Le titre, le Mal Marié, est emprunté à la tradition lyrique et
narrative du moyen âge, où le lieu commun du Mau Marié ou
de la Mau Mariée est le sujet de chansons et de contes nombreux.
Le Mal Marié prend place dans le cycle des fables sur, ou, plu
tôt, contre les femmes (cf. VI, 21, Introduction).
Que le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme ;
Mais comme le divorce * entre eux n’est pas nouveau
Et que peu de beaux corps, hôtes * d’une belle âme,
Assemblent l’un et l’autre point *, 5
Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.
J’ai vu beaucoup d’hymens *, aucuns * d’eux ne me tentent ;
Cependant, des humains presque les quatre parts *
S’exposent hardiment au plus grand des hasards *.
Les quatre parts aussi * des humains se repentent. 10
J’en vais alléguer un qui, s’étant repenti,
Ne put trouver d’autre parti
Que de renvoyer son épouse
Querelleuse, avare et jalouse.
Rien ne la contentait, rien n’était comme il faut : 15
On se levait trop tard, on se couchait trop tôt ;
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose.
Les valets enrageaient, l’époux était à bout :
Monsieur * ne songe à rien, Monsieur dépense tout,
Monsieur court, Monsieur se repose! 20
Elle en dit tant, que Monsieur, à la fin,
Lassé d’entendre un tel lutin *,
Vous1 la renvoie à la campagne
Chez ses parents. La voilà donc compagne
De certaines Philis * qui gardent les dindons2 25
Avec les gardeurs de cochons.
Au bout de quelque temps qu’ *on la crut adoucie,
Le mari la reprend. « Eh bien! qu’avez-vous fait?
Comment passiez-vous votre vie?
L’innocence des champs est-elle votre fait * ? 30
1. Datif éthique, 29,' f. — 2. Ces Philis sont les servantes de ferme.
Périphrase ironique, 24, d.