Page 272 - Les fables de Lafontaine
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268 FABLES. — LIVRE SEPTIÈME
Ni Loups ni Renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie ;
Les Tourterelles se fuyaient.
Plus d’amour, partant * plus de joie 4.
Le Lion tint conseil * et dit : « Mes chers amis, 15
Je crois que le Ciel a permis
Pour Hos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits * du céleste courroux!
Peut-être, il obtiendra la guérison commune. 20
L’histoire * 5 nous apprend qu’en de tels accidents *
On fait de pareils dévouements *.
Ne nous flattons * donc point, voyons sans indulgence
L’état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits * gloutons *, 25
J’ai dévoré force * moutons.
Que m’avaient-ils fait? nulle ' offense.
Même, il m’est arrivé, quelquefois *, de manger
Le Berger.
Je me dévouerai * donc, s’il le faut ; mais je pense 30
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi.
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.
— Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi ;
Vos scrupules .font voir trop de délicatesse! 35
Eh bien! manger moutons, canaille *, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non ! vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant, beaucoup d’honneur.
Et, quant au Berger, l’on peut dire
Qu’il était digne de tous * maux, 40
Étant de ces gens-là qui, sur les animaux,
Se font un chimérique empire * 6. »
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir.
On n’osa trop approfondir
Du Tigre ni de l’Ours ni des autres puissances * 45
Les moins pardonnables offenses.
4. Les vers 1 à 14 forment un prologue épique, 26, a. — 5. L’histoire,
allusion aux dévouements du roi Œdipe, de Codrus, des Décius. —
6. Pour les deux discours du Lion et du Renard, voir Éloquence, 25.