Page 269 - Les fables de Lafontaine
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A MADAME DE MONTESPAN 1
       Intérêt. — Le succès du recueil de 1668 avait été éclatant :
      éditions et contrefaçons s’étaient aussitôt multipliées, faisant, de
      ce livre, le plus grand succès, de librairie du siècle. Le Roi, les
     Princes, la Cour, la Ville, tout le monde avait crié au miracle.
      Les Fables ont fait pénétrer le poète dans la gloire. C’est pour­
      quoi il est autorisé à dédier son nouveau recueil à la femme sur
      qui toute la France avait alors les yeux fixés. Il le fait avec les
      flatteries d’usage, mais exprimées avec beaucoup de grâce et sans
      rien de bas ; en même temps, il souligne, avec une complaisance
      qui reste délicate, le prix du présent qu’il fait. La Fontaine connais­
      sait comme pas un l’art d’être un fin courtisan.
      L’apologue * est un don qui vient des immortels,
             Ou, si c’est un présent des hommes,
      Quiconque nous l’a fait mérite des autels *.
             Nous devons tous, tant que nous sommes 2,
             Ériger en divinité                      5
      Le sage 3 par qui fut ce bel art inventé.
      C’est proprement * un charme * ; il rend * l’âme attentive,
             Ou, plutôt, il la tient captive,
             Nous attachant à des récits
      Qui mènent à son 4 gré les cœurs et les esprits.   10
      O vous, qui l’imitez 5, Olympe, si ma Muse *
      A quelquefois pris place à la table des dieux * 6,
      Sur ses dons aujourd’hui daignez porter les yeux :
      Favorisez les jeux où mon esprit s’amuse *.
       1. Françoise-Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, marquise de
      Montespan (1641-1707), régnait alors (1678) sur la cour du Roi, dans
      tout l’éclat de sa beauté et de sa puissance. — 2. Cheville, 27, h. —
      3.  Ce sage est, bien entendu, Ésope, à qui une légende ancienne
      disait que les fables avaient été données par Mercure ; d’où l’allusion
      aux dieux des premiers vers. — 4. Son renvoie à il des vers 7 et 8,
      pour: ce bel art (de l’apologue).— 5. Vous qui l’imitez, c’est-à-dire: vous
      qui, comme ce bel art, menez à votre gré les cœurs et les esprits. —
      6.  La table des dieux. Allusion à Homère (Iliade, I, 604), décrivant
      les Muses qui chantent pour charmer les repas des dieux. Mais il faut
      comprendre l’allégorie : les dieux sont ici le Roi et les Prinçes qui ont fait
      aux fables leur succès et les ont mises sur leurs tables.
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