Page 260 - Les fables de Lafontaine
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256 FABLES. — LIVRE SIXIÈME
Sinon, il consentait d’être, en place publique,
Guindé *, la hart * au col *, étranglé court * et net,
Ayant au dos sa rhétorique 25
Et les oreilles d’un baudet.
Quelqu’un * des courtisans lui dit qu’à la potence
Il voulait l’aller voir2 et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance ;
Surtout, qu’il se souvînt 3 de faire à l’assistance 30
Un discours 4 où son art fût au long étendu *,
Un discours pathétique et dont le formulaire *
Servît à certains Cicérons
Vulgairement nommés larrons.
L’autre reprit : « Avant l’affaire, 35
Le Roi, l’Ane, ou moi, nous mourrons. »
Il avait raison. C’est folie
De compter sur dix ans de vie.
Soyons bien buvants, bien mangeants :
Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans 5. 40
Exercice complémentaire. — Portez un jugement sur le person-.
nage de ce charlatan et, en général, sur tous les charlatans.
20. — LA DISCORDE
Source. — Corrozet.
Intérêt. — Fable allégorique, terminée par une pointe * sati
rique. Nous sommes ici en pleine tradition de cet art allégorique
si goûté du moyen âge, et dont le Roman de la Rose est l’exemple
le plus illustre. Rien ne favorise moins l’art si naturel, si réaliste
de La Fontaine. C’est la seule fable de ce genre que l’on trouve
dans le premier recueil.
2. Style indirect, 29, z. — 3. Subjonctif-impératif du style indirect,
30, b. — 4. On laissait parler les condamnés au moment de leur
exécution. — 5. C’est-à-dire que, en dix ans, un tiers de l’humanité
meurt. Pour mangeants et buvants, voir Accord du participe présent,