Page 106 - Les fables de Lafontaine
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102 FABLES. — LIVRE PREMIER
12. — LE DRAGON A PLUSIEURS TÊTES
ET LE DRAGON A PLUSIEURS QUEUES
Source. — Origine orientale inconnue. Cette allégorie était
représentée en bas-relief sur une fontaine de Versailles. En 1668,
la Hollande, l’Angleterre et la Suède forment une coalition à trois
têtes contre Louis XIV.
Intérêt. — Fable politique, motivée par l’actualité. Comme
la précédente, c’est une allégorie, mais dans le goût turc, la seule
fable de teinte orientale du recueil de 1668. Son mérite réside
dans le pittoresque exotique et l’ingéniosité aussi bien de la mise
en scène que de l’allégorie.
Un envoyé du Grand Seigneur *
Préférait1, dit l’histoire *, un jour, chez l’Empereur *,
Les forces de son maître à celles de l’Empire.
Un Allemand se mit à dire :
— « Notre Prince * a des dépendants * 5
Qui, de leur chef *, sont si puissants
Que chacun d’eux pourrait soudoyer * une armée. »
Le Chiaoux *, homme de sens,
Lui dit : « Je sais, par renommée,
Ce que chaque Électeur * peut de monde fournir ; 10
Et cela me fait souvenir
D’une aventure étrange *, et qui pourtant est vraie 2.
J’étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d’une Hydre * au travers d’une haie.
Mon sang commence à se glacer, 15
Et je crois qu’à moins on s’effraie.
Je n’en eus toutefois que la peur sans le mal.
Jamais le corps de l’animal
Ne put venir vers moi ni trouver d’ouverture.
Je rêvais * à cette aventure, 20
Quand un autre Dragon *, qui n’avait qu’un seul chef *
Et bien plus d’une queue, à * passer se présente.
Me voilà saisi derechef *
D’étonnement * et d’épouvante.
1. Préférait : affirmait qu’il préférait. -— 2. Vraie, dans sa signifi
cation, non dans sa réalité.